POITIERS 732 : UNE CONFRONTATION POLITIQUES ET MILITAIRES NORD-SUD

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Selon l’historiographie chrétienne du Haut moyen âge français, Charles Martel roi des Francs a arrêté la progression de l’invasion musulmane venue d’Andalousie, en octobre 732 à Poitiers. Au delà du fait de guerre très peu expliqué par les chroniques médiévales du Haut moyen âge, la bataille de Poitiers opposa deux mondes aussi étrangers l’un à l’autre, tant dans leur religion que dans leur vision culturelle au VIIIe siècle. Entre le monde musulman du Sud et le monde franc du Nord existait une Europe mérovingienne divisée par des conflits politiques entre royaumes christianisés. 

POITIERS EN 732 : LA CONFRONTATION DE DEUX MONDES

La confrontation des deux extrêmes que représentaient le Sud musulman et le Nord germanique, dans l’espace de la Gaule romanisée, allait impliquer beaucoup de nouveauté géopolitique, militaire et religieuse pour le monde chrétien . Loin de reprendre la bataille en elle même et ses conséquences militaires sur les deux mondes , ce travail veut expliquer le pourquoi et la mise en place de cette confrontation entre les arabo musulmans d’Espagne et les Francs christianisés du Nord de la Gaule. Définir les intérêts de chacun en amont, exprimer selon le peu de sources existantes qu’elles étaient les objectifs de chacune des puissances en jeu durant le VIIIe. De nombreuses questions sont encore posées sur la réalité idéologique de se choc de culture entre Orient et Occident, mais bien au delà des apparentes rivalités religieuses, nous allons nous attacher à la complexité des enjeux politiques de cette Europe nouvelle du VIIIe siècle. 

QU’EST CE QUE L’EUROPE MÉROVINGIENNE AU VIIIe siècle

L’Europe mérovingienne découle de fusion culturelle et sociale du monde germanique avec celui de l’ancien empire romain, qui était christianisé dans l’ensemble de sa structure urbaine et politique depuis la fin du IVe siècle seulement. Disloqué en partie par la lourdeur de sa structure gigantesque et les invasions successives des tribus germaniques venus du Nord et de l’Est, l’Empire romain perdit le contrôle des ses territoires occidentaux au profit des différents peuples germaniques s’installant de plus en plus au sein de l’Europe, à partir du Ve siècle. 

Plusieurs territoires transformés en royaume souverain apparurent en Europe selon les populations germaniques venus envahir l’espace romain occidental. Peu à peu une nouvelle géostratégie se mettait en place avec ces nouvelles composantes ethniques et linguistiques, en rapport plus ou moins proche avec les populations locales romanisées. 

Sur l’ensemble des territoires qui se formèrent durant le V ème et VI ème siècle, trois principaux se fixant géographiquement entre le Rhin et le Détroit de Gibraltar, vont nous permettre de comprendre les différents rapports conflictuels existant avant la bataille de Poitiers en 732. Le territoire mérovingien, l’Aquitaine gallo-franque et l’Espagne des royaumes Wisigoths.

La naissance d’un royaume Franc: entre héritage romain et droit germanique

Le plus important d’entre eux qui nous concerne, demeure le nouvel espace du peuple Franc lié à la dynastie des Mérovingiens, qui allait créer un royaume franc puissant, grâce à l’avènement au pouvoir d’un puissant chef de guerre nommé Clovis. La dynastie mérovingienne est né de l’installation du peuple germanique venu du Nord, les Francs, dans l’espace gallo-romain du Bassin parisien à partir de 486 ap. J.C. Ce fut la victoire militaire de Clovis sur le dernier représentant légale romain, Syagrius, qui décida du sort de la gaule chrétienne. 

La pensée tribale de type germanique prévalait fortement dans les coutumes politique des francs. Toute notion d’État du modèle romain leur était étrangère, la tribu comme vaste famille ethnique choisissait son chef de guerre pour diriger et protéger le clan. Clovis transforma l’élection d’un homme libre au titre de chef suprême en un titre royal héréditaire associant peuple et espace conquis à son propre patrimoine privé. La notion d’hérédité royale créant la base de la dynastie mérovingienne apparaîtra avec son fils Mérovée.

La première période mérovingienne fut une double assimilation politique et religieuse de la part des Francs, face au système romanisé déjà en place. A la différence des autres peuples germaniques comme les Alamans, les Wisigoths, les Burgondes ou les lombards, le peuple Franc va s’implanter durablement en Gaule romanisé, par une adaptation rapide aux moeurs et coutumes religieuses du monde gallo-romain.La mainmise franque sur des territoires dont les occupants n’étaient pas réellement vaincus ne put se prolonger sans la conciliation des gallo-romains : La grande habileté de Clovis le conduisit a adopter la religion des occupés.

Toujours lié au concept germanique ethno-centriste, associant le pouvoir du chef franc à l’idéologie de gouverner un seul peuple vainqueur, Clovis avait comprit l’importance stratégique de se fondre dans le principe de l’unité géopolitique de la religion chrétienne. Cette conversion au christianisme qui fut loin d’être encouragée par ses proches était plus un acte de finesse diplomatique conquérante que de soumission : elle lui ménagea la confiance de l’aristocratie et le soutien de ces grands détenteurs de pouvoir temporel qu’étaient devenus les évêques.

Face aux nouveaux maîtres de la Gaule conquise militairement, les grandes familles de l’aristocratie gallo-romaine demeuraient bien implantées dans le l’organisation territoriale de l’administration civile et surtout religieuse de l’ancienne structure impériale. Le pouvoir ecclésiastique des évêques romains était resté très puissant auprès de la population. Contrairement aux wisigoths en Espagne qui essayèrent d’imposer de force le culte de l’arianisme rejeté par les différents conciles chrétiens, les francs sauvegardèrent la culture chrétienne comme base administrative de gestion des territoires conquis.

Loin de casser le modèle administratif romain, les francs la respectèrent mais ils eurent besoin de la culture des gallo-romains et de la puissance de leurs grands propriétaires fonciers. C’est ainsi que l’aristocratie guerrière franque partagea les hautes charges du royaume avec les descendants des plus honorables vieilles familles gallo-romaines.

Entre le Ve et le VIIIe siècle le monde mérovingien obéissait à une nouvelle conception politique entre le Droit Germanique donnant au souverain franc le pouvoir de gérer son royaume comme une propriété privée, et le principe d’une unité géographique et religieuse découlant des anciennes institutions impériales romaines.

Entre droit Salique et droit Romain, le système administratif mérovingien développa sa propre organisation sociale et politique. Le souverain mérovingien gardait le droit Salique pour habilement diviser la gestion de son patrimoine héréditaire, tout en sauvegardant la notion symbolique romaine d’un royaume indivisible, le Regnum Francorum, à travers le principe unificateur du Rex Francorum. Par conséquent, malgré les nombreux risques de dislocation de l’espace géographique franc, la nouvelle conception du Rex Francorum protégeait l’unité politique et symbolique autour de l’hérédité royale créée depuis Clovis.

Le système dynastique mérovingien mettait en place les prémices d’une véritable institution héréditaire franque, organisé autour d’un pouvoir central d’un ‘’rex Francorum’’ et du concept du ‘’Regnum Francorum’’ que cimentait la religion chrétienne latine. S’entourant d’une cour royale regroupant les grands familiers Francs et les hauts fonctionnaires locaux attachés au pouvoir, les souverains mérovingiens développèrent une nouvelle administration pour gérer leur palais. Ainsi, les activités politiques , civiles et domestiques mérovingiennes se retrouvèrent au niveau de l’ancienne région administrative impériale : La Civitas. Cette Civitas ,devenue une cité-État mérovingienne, représentait le pouvoir décisionnel que se partageait l’administration royale des palais et l’Église.

L’Église dans la société mérovingienne

L’organisation territoriale de l’Église chrétienne gallo-romaine sauvegardait la cohésion des structures administratives et publiques de l’ancien pouvoir impériale, au sein du nouveau monde mérovingien. Elle reprit pour sa propre expansion, le cadre institutionnel des ‘’civitas’’ pour les investir comme diocèse ecclésiastique protégés par la religion.

L’Église ne se contente pas d’encadrer les habitants du royaume Franc en quadrillant l’espace du regnum avec ses cités et paroisses : elle christianise les régions francisés du Nord de la Gaule, que le baptême des rois n’a pas suffi à évangéliser, et elle va prêcher les paiens au delà du Rhin, du Danube ou des Pyrénées; elle soutient ainsi l’expansion austrasienne en Germanie, et participe à l’organisation de ces terres nouvelles.

Les évêques qui étaient issus des hautes strates de la société gallo-romaine, devinrent des interlocuteurs privilégiés face au nouveau pouvoir franc. Ceux ci assurèrent au début de la conquête franque la bonne continuité des institutions civiles des cités gallo-romaines. Au fur et à mesure que le royaume mérovingien se mettait en place, les évêques devenaient chaque jour indispensable pour les bonnes relations entre la population locale et les rois francs.

L’évêque joue donc un rôle fondamental dans l’administration de Regnum Francorum, par la ferme maîtrise qu’il exerce sur l’espace ecclésiastique et par les liens étroits qui le rattachent au roi catholique mérovingien. Il maintient sous sa domination effective le territoire diocésain, cité épiscopale et paroisses, et participe activement à l’affermissement et à l’extension du pouvoir franc.

Entre rois mérovingiens et l’Église des conflits politiques et territoriaux eurent lieu fréquemment, mais le besoin d’un équilibre social au sein de monde mérovingien maintenait une dynamique d’alliance entre le pouvoir royal et ecclésiastique. Le roi comme les évêques se partageaient le contrôle de la société nouvelle gallo-franque, l’espace urbain formant principalement la géopolitique privilégiée du pouvoir épiscopal des évêques. l’affaiblissement du pouvoir royal mérovingien et l’apparition de nouvelle force politique régionale, que créèrent les nouvelles charges de Major Domusdurant le VIIème, les évêques eux mêmes devinrent des petits princes locaux exerçant un règne de « principatus » indépendants sur leur Diocèse. 

«  L’Église essaie de préserver les importants domaines qu’elle doit aux dons du roi et des grands ou aux legs des évêques, et de conserver son unité et son organisation, malgré l’avidité de certains prélats et laics et malgré les luttes des princes. » 

L’ascension d’une nouvelle aristocratie de palais

A partir du VIIe une nouvelle aristocratie mérovingienne s’installa dans les fonctions et charges de ces administrations devenus urbaines et territoriales lié au pouvoir central de la dynastie mérovingienne. Fonder sur des liens de parenté ou d’alliance avec le pouvoir royal, cette aristocratie se voyait de plus en plus confier la charge de gouverner un territoire comme un bien propre , toujours sous la domination du souverain .

Apparurent les titres de Comte et de Duc dont la fonction était liée à la représentation du roi comme chef de la justice et de la force armée. Cependant, le pouvoir royal mérovingien va connaître de nombreuses crises internes de succession, divisant le pouvoir central en petits royaumes régionaux. 

C’est à la mort du roi énergique Dagobert Ier en 639, que le monde mérovingien allait connaître ses premières crises de division. Les trois grandes causes en étaient la montée en puissance de l’aristocratie, les particularismes régionaux et l’émergence d’un nouveau pouvoir politique, les Maires du Palais ou « Major Domus ». Renforçant ses propres réseaux de parenté et de fidélité militaire, l’aristocratie mérovingienne va se subdiviser pour défendre sa propre autonomie régionale vis à vis du pouvoir central. Cette subdivision allait être la cause d’une nouvelle géographie politique de la Gaule, avec l’apparition de trois entités importantes.

Au Nord s’étend l’Austrasie créées sur les territoires situés entre la Meuse, le Rhin et la Moselle qui étaient profondément germanisés; la Neustrie, qui comprenait les régions placés entre la mer du Nord, la Meuse et la Loire et était axée sur la Seine, restait en revanche très romanisée. Le Sud se divisait entre la bourgogne à l’Est, marquée par des lois très humaines, et l’Aquitaine à l’Ouest qui conservait presque intacte la culture latine.

La Neustrie, l’Austrasie et l’Aquitaine vont devenir des territoires contrôler par des familles aristocratiques locales sous le titre de maires du Palais. Avec le temps, cette fonction administrative va se transformer en véritable protectorat privé héréditaire, où l’office du Major Domus ne représente plus dans la réalité le pouvoir du souverain, mais bien celui de la caste régnante sur sa région. Le Major Domus devenait un personnage important et incontournable dans le principe du Regnum Francorum, grâce à ses alliances avec l’aristocratie locale.

Souvent rivales auprès du pouvoir royal, ces différentes dynasties aristocrates vont s’affronter pour le contrôler du souverain et ainsi garder une place privilégiée au sein du gouvernement décisionnel des différents rois mérovingiens se succédant. cette anarchie dynastique va être utile à une autre branche de l’aristocratie franque du Nord austrasienne, les Pippinides

Vers le milieu du VII ème siècle, un grave conflit opposait le maire du Palais de Neustrie à celui d’Austrasie. Profitant de cette querelle entre clan, un puissant seigneur du nord de l’Austrasie Pépin d’Herstal, allait s’imposer comme nouveau Major Domus de l’Austrasie. 

« l’Austrasie finit par l’emporter grâce à une puissante famille d’aristocratie terrienne : Les Pippinides qui réussirent à rétablir l’unité Des deux royaumes (Austrasien et Neustrien) sous le gouvernement fictif des derniers mérovingiens, en écrasant les ultimes tentatives de l’aristocratie neustrienne. »

A partir de celui-ci la puissante dynastie des Pippinides se rendit maître de la Germanie, en contrôlant le nouvel essor économique du Nord lié à l’axe de la rivière Meuse. Peu à peu les Pippinides, vont dépouillé les rois mérovingiens de leur privilège sur le royaume franc, car ceux-ci vont s’attribuer le titre de « Princeps », c’est à dire Prince du Palais pour gouverner eux même sur un Principatus ou principauté autonome.

Avec le VIIIe siècle et l’apparition de Charles Martel comme nouveau prince pippinide d’Austrasie, une transition va s’effectuer entre le pouvoir réel de Charles martel et le rôle symbolique des souverains mérovingiens. Un nouveau type de conflit va naître entre les différentes régions de la Gaule mérovingienne, principalement entre l’Aquitaine du duc Eudes et la puissante Austrasie de Charles martel. L’Aquitaine devenu duché autonome durant le coup de force politique des Pippinides sur la Neustrie, va lutter pour la sauvegarde de sa propre indépendance territoriale, politique et économique face à la poussée de l’Austrasie germanique et celle de l’Espagne musulmane.

UNE NOUVELLE DONNÉE : l’ISLAM 

Apparue dans le courant du VIIème siècle chrétien au sein de la population sémite de la péninsule Arabique, la religion islamique créa un nouvel ordre social et politique autour du Dieu unique Allah. C’est sous l’impulsion de son fondateur et initiateur, le Prophète Abû Ibrahim Muhammad ibn Abd Allah ibn Abd Muttalib ibn Hashim né en 570 de notre ère, qu’une nouvelle religion monothéiste apparut dans l’univers des bédouins nomades du désert arabique. A la mort du Prophète Muhammad en 632, celui-ci laissait une civilisation arabo-musulmane en pleine expansion spirituelle et géographique. Nouvelle religion cimentée autour d’une langue et d’une écriture sainte, l’Arabe, la puissance militaire et culturelle islamique va s’étendre de la Chine à l’Europe durant le VIII ème siècle.

La société musulmane du VIIIe siècle chrétien

Lancé à la conquête des empires perse et byzantin, sous l’impulsion des premiers compagnons de Muhammad, les guerriers du désert vont conquérir des nouveaux espaces en Palestine. Un chef de clan puissant , Mo’awiya, va installer un État séculier islamique à Damas en Syrie, pour organiser un système califale héréditaire sur les anciennes fondations politiques byzantines. Ainsi, la dysnatie des Omeyyades de Damas, qui dirigea le monde musulman de 661 à 750, allait organiser la conquête du premier empire arabe. Malgré beaucoup de difficulté religieuse interne et des conflits entre tribus arabes.

Depuis leur occupation de la Syrie et de leur installation en État séculier a Damas, les arabes furent confrontés dans leur expansion occidentale à la puissance byzantine. Ne réussissant pas à forcer le passage anatolien et prendre Constantinople, la poussée arabo-musulmane allait prendre le chemin des côtes sud de la Méditérranée pour prendre pied en Égypte et l’Afrique du Nord entre 640 et 710. Cette conquête rapide connut un temps d’arrêt devant la passage maritime séparant le continent africain de celui de l’Europe.

L’expansion Omeyyade était typiquement dirigée et gouvernée par des arabes qui avaient sauvegardé le goût de l’aventure guerrière et des razzias, encourager par une religion fortement expansionniste prônant la Guerre Sainte, la Djihad, pour la conversion de nouvelle population.

Expédition après expédition, les forces musulmanes s’enrichirent d’une organisation militaire de plus en plus sophistiquée, provenant des territoires et peuples soumis. Cette enrichissement technique et matériel en liaison avec l’esprit de conquête arabe allait maintenir une suprématie militaire constante sur le pourtour méditéranéen. La décomposition de l’hégémonie territoriale et politique des anciens systèmes perse et byzantin avait offert une expansion fulgurante des guerriers arabes des déserts, dans des espaces connus de l’Antiquité persan et romain entre 640 et 710. A partir de 708, les arabo-musulmans furent confrontés à une situation nouvelle au porte de l’Europe protégée par le passage maritime du futur Détroit de Gibraltar, menant à l’Espagne.

Un Islam conquérant face à un monde occidental divisé

Ayant partiellement conquis la région occidentale du territoire nord africain, mais toujours en lutte constante pour la conversions de plusieurs peuples rebelles berbères, les arabes vont organiser une tête de pont militaire à Tanger, avec un gouvernement militaire et effectuer quelques raids entre 705 et 708 sur le continent espagnole

Avant d’entreprendre une véritable expédition militaire par la mer vers l’Espagne, les arabes se trouvaient devant une énigme fondamentale, car le monde européen leur étaient très peu connu. L’expansion vers l’Espagne devait être le travail de reconvertis berbères qui connaissaient leur voisin wisigoth, qui appartenaient au monde germanique et non au monde byzantin. On peut signaler que les arabes furent très réticent à prendre la mer pour conquérir les terres espagnoles, impliquant une nouveauté pour ces arabes du désert en laissant l’ouverture de la conquête à des non arabes reconvertis à l’Islam, les Mawalis berbères et chrétiens d’Afrique comme le comte Julien.

Le monde arabe allait trouver dans les peuples nomades berbères un nouveau souffle guerrier pour conquérir l’Espagne des royaumes wisigoth, car prendre pied en Espagne c’est prendre pied en Europe.

« En 710 eut lieu un raid temporaire sur l’Espagne, mais c’est en avril ou mai 711 que Tarik ibn Ziyad, affranchi berbère de Moûsa ibn Nozayr, gouverneur de Tanger, passa en Espagne, peut être appelé par le roi wisigoth Akhila en lutte avec son rival Roderic, proclamé roi de Tolède. »

Le Berbère El Tarik ibn Ziyad allait donner l’occasion de franchir le bras de mer séparant l’Afrique de L’Espagne, donnant ainsi son propre nom au Détroit de Gilbraltar, « Djabal el Tarik ». Pour les habitants de l’ancienne Ifriqiya byzantine, le continent espagnole n’était pas une inconnue politique ni commerciale depuis l’invasion des wisigoths. L’ancien monde hispano-romanisé de l’Espagne du VIII ème siècle était divisée en plusieurs royaumes wisigoths tout aussi impopulaire que le pouvoir impérial byzantin, en raison d’une domination raciale germanique et un despotisme religieux lié à l’arianisme. Depuis le début du VIIIème, les querelles entre principautés germaniques étaient monnaie courante, se traduisant par des guerres civiles et des conflits de successions entre clan wisigoth, au détriment de la population locale soumise.

En 710, Rodéric, gouverneur de la Bétique, province du Sud de l’Espagne, est élu roi de Tolède. Élection controversée qui va aggraver la situation politique du pays par les rivalités intestines. C’est à la faveur de cette p`riode d’anarchie qui dure depuis 708, que des raids sarrazins furent effectués par les troupes d’el Walid sur les côtes espagnoles.

L’Espagne du sud en désordre, Tarik allait mettre en place une tête de pont arabo-berbère et s’enfoncer vers les Pyrénnées en écrasant militairement les prinicpaux chefs de guerre wisigoth sur son passage. Cette nouvelle poussée musulmane ne s’arrêta qu’en 714 devant les hautes montagnes pyrénéennes, non sans avoir pris plusieurs villes fortes comme Saragosse en 713. 

Cet arrêt de la conquête arabe en Europe fut sur l’ordre du calife El Walid de Damas, par crainte d’une sécession de la part des nouveaux maîtres de l’Espagne. Après avoir rappellé son gouverneur militaire d’Afrique ,Mousa ibn Nozayr, et son lieutenant berbère El Tarik à sa capital de Damas, le calife les fit assassiner en 714, pour protéger le pouvoir central Omeyyade.

La colonisation musulmane sur les terres occidentale

La soumission de la région Sub-pyrénéenne espagnole au monde musulman était dû principalement à une reconversion importante des centres urbains. Il semble que les garnisons musulmanes aient été établies dans les villes les plus importantes, et qu’un grand nombre d’hispano-romans aient acceptés de se convertir à l’Islam pour jouir des pleins droit de citoyenneté sous le nouveau régime.

Entre 714 et 730, l’installation du pouvoir Omeyyade de l’Espagne à à la Gaule Languedocienne se caractérisait par l’établissement d’un protectorat militaire, sans réelle politique de reconversion religieuse obligatoire. Ces nouveaux gouverneurs militaires musulmans, d’origine exclusivement arabe nommés el Wali, étaient chargés par le Califat de Damas d’entretenir une présence musulmane sur les territoires conquis. De plus en plus ils vécurent en bonne intelligence avec leurs vaincus chrétiens, acceptant les conversions à l’Islam dans un but pratique de gestion politique. De nombreuses communautés juives hispaniques eurent le droit de gérer les administrations citadines pour ces nouveaux vainqueurs d’Orient.

«  Brûlant de l’ardeur de leur nouvelle religion ils (les arabes) n’avaient besoin de rien d’autre que du Coran, seule source de la Loi, pour imposer leur religion, sans provoquer des conflits idéologiques. Au cours de la première période (du VIII ème), ils se contentèrent de répartir et d’organiser l’énorme patrimoine qui était tombé entre leurs mains. »

Cette présence militaire consolidait les positions stratégiques acquises en vue de lancer de nouvelles expéditions contre les territoires inconnues de la Gaule franque et rapporter d’important butin de nouvelles richesses. La vision des richesses européennes en Espagne donnaient le goût nouveau d’acquérir de nouveaux domaines riches et prospères. Franchir les Pyrénées était une autre étape pour atteindre une Gaule de moins en moins « Terra Incognita » pour le monde musulman d’ El Andalou. Les incursions en Gaule commencèrent vraiment dès 719 avec le siège et la prise de Narbonne par le Wali El Samh. Tout indique que les sarrazins considéraient cette ville comme base des opérations futures que nécessitait la conquête de la Septimanie et le Sud de la France. »

A partir de 720, c’est une véritable occupation musulmane qui se mit en place autour de Narbonne avec des fortifications diverses « les Ribats » et l’implantation de familles nord africaines reconverties pour asseoir un établissement durable et stable.Depuis la prise de Narbonne, les musulmans remontaient la vaste vallée du Rhône dans la direction des Alpes et de la Burgondie, fortifiant au passage leur position militaire par des accords de soumission des seigneurs chrétiens locaux et les prises d’Avignon et de Carcassonne. Après la vallée du Rhône et ses régions environnantes, l’Aquitaine devenait un objectif important pour les musulmans.

« El Samh voulut s’attaquer à la puissance d’Eudes, duc d’Aquitaine qui menaçait les frontières de la Septimanie. Il poussa son armée jusqu’à Toulouse mais il fut vaincu sous les murs de cette ville et y trouva la mort (le 9 juin 721). »

Dès lors en but à des conflits ethniques internes en Espagne, voyant la porte de l’Aquitaine fermée par la puissance militaire du duc Eudes, les musulmans vont consolider leur position en Septimanie et en Espagne.

De 726 à 730, une politique de rapprochement fut élaborée par les sarrazins qui cherchaient les alliés contre les Francs ; ainsi s’établit l’accord entre le chef Berbère Manuza et Eudes, duc d’Aquitaine dont il épousa la fille Lampégie. Cette politique de compromis coincide avec une période d’incertitude en Espagne ou six gouverneurs se succèdent en cinq ans.

En liaison directe avec les sensibilités politiques de Damas, le protectorat d’Espagne allait connaitre un brutal changement sous le nouveau Calife Abd Al Malik, pour le maintien d’un pouvoir religieux fort au nom de l’unité de l’Empire Omeyyade. A partir de 730 à Cordoue, un nouveau Wali arabe fut nommé pour remettre de l’ordre en Andalousie et reprendre la conquête vers le Nord de la Gaule. Reconnu pour sa ferveur religieuse et son intégrité morale, qui lui donna le surnom arabe d’Al Ghafiki, « le Compagnon », cet ancien compagnon d’arme du Wali El Samh se nommait Adb Al Rahman.

Ancien rescapé de la défaite devant les troupes d’Eudes d’Aquitaine en 721 causant la mort d’el Samh, Abd Al Rahman Al Ghafiki va reprendre en main les affaires du pouvoir musulman, pour réorganiser l’ordre militaire et religieuse délaissé par ses derniers successeurs. Selon l’historiographie musulmane d’Andalousie, la piété de ce nouveau gouverneur arabe relança la ferveur d’une nouvelle expansion de l’Islam vers l’Europe, via l’Aquitaine du Duc Eudes.

LA VÉRITABLE BATAILLE DE POITIERS : UNE CONFRONTATION POLITIQUE NORD-SUD

La confrontation armée entre peuple du nord et peuple du sud que symbolise la bataille de Poitiers en octobre 732, ne pouvait se résumer à un seul conflit idéologique et religieux entre Islam et Chrétienté sur le sol européen. Au delà des aspects historiographique postérieurs illustrant le choc militaire des deux forces en présence, il faut retenir le peu d’information contemporaine à 732 pour pouvoir expliquer réellement les données de cette confrontation. L’analyse présente demeure une démonstration exhaustive du tableau général de la situation entre les différents acteurs et les données géostratégiques du contexte, pour définir les enjeux que représentait la bataille de Poitiers.

Un royaume convoité entre le nord et le sud: l’Aquitaine

Dès le début du VIII ème, une décomposition politique du pouvoir royal gangrènait l’autorité centrale de la dynastie mérovingienne. Le partage germanique de la coutume salique, divisant le territoire du père entre ses fils, provoqua une multiplicité des espaces géostratégiques à gouverner entre mérovingien. De nombreuses querelles dynastiques affaiblirent le pouvoir central du roi, au file du temps. Quand disparaÎt le lien qui les unit, la relation avec un puissant roi mérovingien, ces seigneurs indépendants n’éprouvent aucun sentiment d’allégeance envers les Pippinides, qui sont leur égaux, et souvent leurs inférieurs.

A l’aube de la bataille de Poitiers entre force musulmane du Sud et franque du Nord, Il est important de situé l’Aquitaine du Duc Eudes au centre des convoitises de ces voisins du Sud et du Nord. Coincé entre les Pyrénnée et la Loire qui formaient ses frontières géographiques, cette vaste région agricole et commerciale était au centre de l’économie européenne du VIII ème.

Depuis l’arrivée des francs dans le monde aquitain, peu de chose avait été bousculé dans le système social et culturel de l’ancienne société gallo-romaine. L’Aquitaine était le pays où s’était le mieux maintenue la continuité avec la culture et la société romaines. 

L’organisation sociale, le langue et la culture religieuse chrétienne d’origine latine y était fortement implanté au sein d’une population plus romanisée que francisée. Gardant profondément un caractère distinct des autres domaines mérovingiens, l’Aquitaine entretenait avec le monde franc une volonté d’autonomie politique et culturelle. Les richesses de l’Aquitaine – non seulement son agriculture, mais aussi son sel, son bois, ses fourrures et ses marbres, ses mines de plomb de fer et d’argent – la rendaient précieuse au yeux des rois francs. 

Sa prospérité agricole demeurait un atout majeur pour développer peu à peu une géostratégie régionale face aux appétits de son voisin du Nord. Avant l’arrivée des musulmans en Espagne, les échanges entre mérovingiens et aquitains se plaçaient surtout sur un ordre religieux et aristocratique. Une puissante aristocratie aquitaine romanisée entretenait des liés constant avec le pouvoir franc, pour contenir la présence laique des gens du Nord, mais aussi prendre une place dans le pouvoir religieux du monde mérovingien.

« Depuis Clovis, les membres de l’aristocratie sénatoriale du sud occupaient des postes de premier plan à la cour mérovingienne, fournissaient au nord des évêques influents, et avaient conclu des alliances politiques et matrimoniales dans toute la Francie. »

Peu à peu l’Aquitaine allait retrouver son espace indépendant vis à vis du pouvoir mérovingien en devenant un Principatus régional, sous la conduite de militaire locaux qui profitèrent de plus en plus de la confusion anarchique de la politique franque du nord. Dès le début du VIII ème siècle, le Principatus aquitain se proclama royaume indépendant, sous la conduite d’un « Prince d’Aquitaine » nommé Eudo, (Eudes) prenant ainsi le titre militaire de Duces d’Aquitaine.

Eudes réussit à consolider et agrandir ses frontières au sud et au nord, pour maintenir sa puissance comme un rempart au assaut de l’extérieur.Tant qu’il doit affronter que les Basques au sud-ouest, il ne craint pas le royaume goth divisé au sud-est et celui au nord du pays franc en proie au désordre, Eudo(Eudes) va maintenir une indépendance quasi-totale. Mais l’équilibre est soudain rompu lorsque, en 710-711, l’Espagne wisigothique s’effondre sous les coups des Arabes.

L’arrivée du monde musulman en Europe allait devenir un bouleversement géostratégiques entre les royaumes du nord et ceux du centre de la Gaule. Fortement christianisé et possédant de nombreux grands monastères chrétiens sur son territoire, l’Aquitaine était un bastion de la nouvelle chrétienté en Europe. La présence arabe au sud de ses frontières pyrénéennes imposait à l’Aquitaine un vigilance accrue, dont profita de plus en plus le nouvel homme fort du nord, Charles Martel.

Malgré un blocus militaire à ses frontières, des recherches d’alliance militaire avec la Neustrie au nord et matrimoniale avec un seigneur Hispano-Berbère musulman, Munuza, tenant la région de la Gasgogne au sud, le Duc Eudes s’affaiblissait entre 721 et 732 face aux pressions de Charles Martel et du Wali arabe de Cordoue, Abd Al Rahman al Ghafiki. Ce dernier détruisant militairement son rival Munuza en 731, allait décider d’envahir à nouveau l’Aquitaine à la tête d’une puissante armée musulmane, qui écrasa les troupes de Eudes sur les bords de la Garonne en 732. Dès lors, la route pavée de l’ancienne voie romaine remontant vers le nord était ouverte aux convoitises de butins des arabes.

De la convoitise à l’invasion pour les musulmans comme pour les Francs

En cette année de 732, l’Aquitaine se retrouvait en mauvaise posture face aux appétits de ses deux voisins. Entre Abd al Rahman et Charles Martel, le duc Eudes ne pouvait plus assurer la sécurité de ses frontières, et par conséquent l’indépendance de l’Aquitaine. Sa défaite devant les musulmans lui firent prendre conscience de l’échec de ses alliances pour maintenir son pouvoir en Aquitaine. En bon voisin des musulmans et connaissant depuis 721 leur volonté de prendre pied en Gaule, le duc Eudes ne pu résister à l’urgence d’une aide extérieure puissante pour contenir l’avance des« Sarrazins ». Face à lui, son puissant voisin du nord était tout aussi impatient d’envahir l’Aquitaine et d’en faire son espace territorial. Là aussi depuis 720, Eudes lavait lutté contre les troupes franques de Charles Martel pour lui barrer l’accès de ses terres, et empêcher le nord de prendre le contrôle sur les commerces aquitains.

Pour le Major Domus Charles Martel comme le Wali Abd al Rahman, l’Aquitaine représentait une région riche à conquérir mais surtout un point stratégique d’implantation de leur pouvoir respectif. Autant Charles Martel que Abd al Rahman avait combattu de nombreuses rivalités interne à leur territoire, pour en assurer une domination souveraine. Au sud comme au nord, les oppositions politiques et militaires existaient au sein des royaumes musulmans et franques, mettant en commun l’énergie et la fermeté politique des eux chefs pour consolider leur puissance géostratégique respective. Néanmoins, une donnée opposait fortement les concepts politiques entre le guerrier du nord et celui du sud car Abd al Rahman demeurait un fidèle serviteur de sa foi islamique et de son maître, le Calife de Damas El Malik. Contrairement à cela, Charles Martel utilisait sa fonction de Major Domus pour prendre le pouvoir politique au souverain mérovingien en place, et il s’assurait l’entretien de ses propres armées en violant l’immunité des domaines ecclésiastiques, pour en taxer les terres et l’usufruit que percevaient les évêques. 

1) Karl Martellus ou Martiaux

L’oeuvre politique de Charles martel continuait la stratégie Pipinnides consistant à réduire la puissance mérovingienne et celle de l’Église au sein du Regnum Francorum. Celui-ci avait passer sa jeunesse à combattre une aristocratie austrasienne opposante à sa prise de pouvoir comme Major Domus, puis à vaincre militairement ses voisins neustriens, saxons et pour prendre possession de leur espace politique. Charles avait su se créer une fidélité militaire autour de son pouvoir, en offrant des concessions sur les terres conquises à ses guerriers et de nouveaux espaces à convertir pour les évêques austrasiens. Chef de guerre avant tout, Charles Martel réorganisait autour de lui une nouvelle structure politique basée sur fidélité d’alliance de type féodal, lui assurant une puissance militaire stable et efficace, pour combattre sur tous les fronts d’Europe. Cette féodalité avant l’heure, assurait une rapidité d’action pour intervenir loin hors des frontières austrasiennes. Ainsi à l’annonce de l’invasion musulmane en Aquitaine par son rival Eudes lui-même, Charles Martel comprenait l’importance d’agir vite en Aquitaine, autant pour profiter de l’occasion de soumettre cette région que pour empêcher les hispano-berbères de prendre pied en Gaule. Malgré des conflits fréquents avec le pouvoir ecclésiastique romain, Charles ne pouvait laisser passer l’occasion de reprendre à son compte le rôle protecteur des souverains mérovingiens auprès de l’Église Chrétienne et de ses évêques. Faire oublier la spoliation des biens du Clergé et reprendre l’initiative religieuse de lutter contre les paiens était toujours une volonté politique de l’Austrasien, comme le démontre ses invasions en Bavière et sa lutte contre les Saxons non christianisés. Protéger la Chrétienté contre l’expansion de l’Islam n’était pas l’urgente précaution dont le guerrier Charles Martel se préparait en rassemblant ses forces armées, il s’engageait à stopper un rival militaire tout aussi puissant que lui, ayant les mêmes désirs de conquête sur l’Aquitaine.

Qui est le Wali Abd Al Rahman el Ghafiki

A la veille de son invasion de l’Aquitaine, le Wali de Cordoue avait remis de l’ordre en Espagne, se débarrassant des seigneurs musulmans réfractaires au pouvoir de Damas et réaffirmant la primauté religieuse de l’Islam sur toute l’Andalousie conquise. Abd Al Rahman était un ancien conquérant de l’Espagne, ayant déjà été Wali de 721 à 722 comme remplaçant du gouverneur El Samh mort devant Toulouse. Débouté du pouvoir par conspiration, ce chef de guerre restait fidèle au pouvoir central des Omeyyades de Damas, qu’il continuait à service au sein des troupes musulmane d’Espagne.

En 730, le pouvoir de Damas intervint sur l’ensemble de ses territoires d’outre Mer pour rétablir la Foi islamique et l’obéissance politique des provinces pacifiées. Abd al Rahman fut choisit pour son zèle militaire et sa fidélité reconnue pour devenir le nouveau wali andalou de Cordoue. Selon l’historiographique hispano-musulmane postérieure au VIII ème siècle, la bravoure et la fermeté de ce nouveau Wali garanti une nouvelle stabilité politique en Espagne. Avant de se lancer contre l’Aquitaine, Abd el Rahman réorganisa son administration civile permettant une meilleure assimilation des populations non convertis vers l’Islam. Une politique d’expansion vers la Gaule fut mis en place pour former de nouveaux effectifs militaires et pour en augmenter la puissance. Le commerce des armes avec le monde franc était déjà en place pour acquérir du matériel de guerre comme des protections en cotte métallique et des armes nouvelles. Les combattants arabo-berbères avaient appris de leur défaite face aux aquitains, et leur chef de guerre Abd al Rahman connaissait les conséquences néfastes d’une mauvaise préparation militaire pour conquérir la Gaule. Entre 730 et 732, le monde arabe sous le gouvernement d’Abd Al Rahman se structurait à la fois pour s’implanter politiquement en Espagne mais aussi pour continuer son expansion de conquête vers la Gaule. Obéissant à la volonté de Damas de continuer d’agrandir l’Empire Arabe en Europe comme en Asie, le Wali de Cordoue obéissait aussi à l’impératif régional de garder le contrôle sur des tribus arabo-berbères rivales et des seigneurs locaux reconvertis musulmans mais principalement d’origine guerrière. Réduire à néant toute opposition à son pouvoir demeurait pour Abd al Rahman une priorité absolue pour avancer vers la Gaule.

Rétablir l’ordre dans la province musulmane et envahir l’Aquitaine devenaient réalité en été 732, lorsque Abd al Rahman décida d’anéantir un chef berbère rebelle à Cordoue qui avait contracté une alliance avec son ennemi infidèle, le duc Eudes d’Aquitaine. Tout comme Charles Martel avec les neustriens, Abd al Rahman se lança à la conquête du territoire rebelle du berbère Munuza, détruisant complètement cet allié frontalier de Eudes pour s’ouvrir les portes de l’Aquitaine. Pillant Bordeaux sur son passage , l’armée musulmane entrait de plus en plus profondément en terre aquitaine, sans opposition ni résistance locale importante. Eudes défait, sans armée avait fui devant l’avance des troupes hispano-berbères pour aller demander l’aide à son ennemi d’hier, Charles Martel. Une autre invasion venu du nord se mettait en marche , elle aussi sur les routes de l’Aquitaine sans défense.

C) Un objectif commun : la Cité de Tours et les reliques de saint Martin

L’historiographie musulmane comme chrétienne nous donne une information commune sur les objectifs militaires des deux conquérants, qui était d’atteindre la Cité mérovingienne de Tours. Si la bataille fut située proche de Poitiers par les historiens, ce fut bien Tours sur les bords de la Loire qui était l’objectif principal, autant pour les musulmans que pour les francs. Que représentait la cité de Tours pour les uns comme pour les autres, selon les enjeux de chacun dans sa propre vision de conquérir l’Aquitaine et la Gaule toute entière. 

Il faut rappeler l’importance des possessions chrétiennes en Gaule et de son implantation dans le système de la civitas mérovingienne grâce aux puissants évêques qui les réorganisèrent. Les évêques jouait un rôle fondateur dans le pouvoir mérovingien et ils étaient restés maîtres de leur cité reconstruisant celle-ci comme un centre administratif urbanisé et l’administrant avec soin comme sa propre résidence ou Domus Ecclesiae.

« La domination territoriale des évêques devient ainsi tangible dans les cité et les vici ; elle glisse du texte hagiographique, où la géographie épiscopale s’élabore dans des catalogues de constructions et de localisations de sépultures, au paysage quotidien remodelé et christianisé. Construire devient une vertus qui haussent l’évêque au rang de saints. »

Le rôle de la cité de Tours dans le monde mérovingien était devenu incontournable, car il gardait le plus célébré et le plus vénéré des saints du monde chrétien, Saint Martin. L’omnipotence de la religion chrétienne dans la pensée mérovingienne faisait du culte des saints une étroite emprise de conscience pour les populations urbaines, mais aussi de plus en plus rurale au VIII ème siècle. L’importance de faire construire des Basiliques pour protéger et honorer les reliques des saints chrétiens était devenu un acte politique soutenu par le pouvoir royal en place. Centre de commerce et de décision politique ,les cités demeuraient une base vitale de la société mérovingienne pour sa stabilité économique et sociale.

« L’espace urbain forme en effet la cellule privilégiée du pouvoir épiscopal, où s’élabore, autour de la basilique, édifice principal, toute une topographie sacrée. »

La cité mérovingienne de Tours est au coeur de la pensée religieuse et l’univers mérovingien et un pôle d’attraction économique important sur le continent. Elle comprend ainsi trois noyaux de bâtiments, celui de la ville, dans l’ancien castrum, assez densément peuplé, le long de la Loire, avec l’ecclesia principale, deux autre églises et la domus ecclesiae, celui de l’Ouest, entre les routes de Poitiers et d’Angers, où se trouvent le baptistère, cinq basiliques et trois monastères, et celui de Marmoutiers, de l’autre coté du fleuve, avec le monastère de Martin et deux basiliques ; c’est là un des plus vastes complexes sacrés de la Gaule mérovingienne, un haut lieu de pèlerinage franc.

Sa réputation dépassait de loin les frontières aquitaines et franques vers le nord comme vers le sud de l’Europe, attirant autant le respect que la convoitise pour ses richesses. L’intérêt stratégique de Tours n’avait pas échapper aux deux chef de guerre qu’étaient Abd al Rahman et Charles Martel sur l’enjeu d’une telle prise. 

Remontant l’unique voie romaine comme un file conducteur à travers un pays fortement boisé et inhospitalier depuis le sud de la Gaule, Abd al Rahman et ses troupes pillèrent les villes de Bordeaux, Saintes et Angoulême amassant ainsi un énorme butin de guerre. Selon les différentes études faites sur l’objectif de cette invasion musulmane, deux hypothèses s’opposaient entre un simple raid de pillage et de razzia typique des arabes ou une conquête expansionniste des musulmans sur la Gaule. 

On peut signaler que l’hypothèse du pillage ne peut tenir vraiment devant la remontée profonde en terre franque de l’armée musulmane, surtout en saison d’automne qui selon la datation musulmane au 114 ème mois de Ramadan de l’Hégire s’effectuait en octobre 732 ou 733, ce qui était trop tardif pour des guerriers arabes ne combattant que l’été. La seconde hypothèse d’une invasion territoriale ne peut être plus valable car selon la tactique musulmane, aucune ville de soutien ne fut préétablit si loin au nord des Pyrénées, ni aucune machine de siège emmenée pour consolider une stratégie d’occupation comme pour Narbonne. On remarque cependant la volonté de rapidité à remonter vers Tours, après la prise Bordeaux qui fut pillée par les troupes musulmanes. L’importance de Tours et sa proximité géographique n’aurait sans doute pas échapper à un chef de guerre lui même fervent pratiquant de sa religion et connaissant de mieux en mieux le monde mérovingien depuis son départ d’Espagne. Abd al Rahman n’était pas un assoiffé de pouvoir ni de richesse , son but premier étant de conquérir pour la gloire de l’Islam et de Damas. Prendre la cité mérovingienne de Tours revenait à contrôler l’univers religieux de ses ennemis et détruire ainsi le moral franc. Cette donnée n’aurait sans doute pas échapper à un Charles Martel soucieux de prendre un place importante dans le monde mérovingien. Défendre le sanctuaire de la chrétienté franque devenait un impératif politique pour administrer le pouvoir au nom des princes mérovingiens.

LES ENJEUX DE LA BATAILLE DE POITIERS

Autant pour le Wali de Cordoue que pour le Major Domus austrasien, le risque d’un échec cuisant militaire revenait à un échec politique et religieux possible. Tours représentait pour chacun une possible victoire stratégique sur le monde mérovingien et sur toute la Gaule chrétienne de l’époque. Si pour l’un il lui fallait piller et détruire ce sanctuaire religieux ennemi, pour l’autre son objectif demeurait de protéger l’inviolabilité et de contrôler le centre névralgique de la société franque. La confrontation entre les forces musulmanes du sud et celles franques du nord mettait en jeu l’équilibre d’une Europe mérovingienne fragile. La cité de Poitiers, que traversait la voie romaine pour aller vers Tours, fut la première cité mérovingienne à tenir le choc militaire devant les troupes musulmanes, qui la dépassèrent pour rejoindre Tours au plus vite.

Il est à peine besoin de rappeler que le Poitou contrôlait la plupart des relations entre le monde franc et l’Aquitaine. Du haut de son promontoire, le cité – citadelle commandait tout le seuil du Poitou, boulevard entre la Loire et la Garonne que desservait un dense réseau de voies romaines en direction de Tours et de Bourges au nord, de la métropole Bordeaux au sud.

Si la cité de Poitiers ne fut pas l’enjeu de la bataille qui porte son nom, sa position géostratégique entre l’Aquitaine et l’Austrasie ne pouvait que servir Charles Martel dans sa guerre de conquête face aux arabes, car le Poitou restait un important point d’appui franque du nord en Aquitaine. De son coté , le Wali de Cordoue ne pouvait plus perdre de temps à piller une région de plus en plus dense et compact comme l’était le paysage forestier poitevin. Seul la voie romaine qui depuis Poitiers longeait la vallée de la Vienne assurait à ses troupes une sécurité relative et un espace défensif visible, loin des embuscades et des attaques surprises. Cette même voie romaine donna son nom aux historiens musulmans comme étant « Le pavé des martyrs » soit El Balat al Shuhada

Identifier comme étant un Samedi d’Octobre 732 au lieu dit de Moussais la Bataille, le choc militaire entre force musulmane et force franque tourna à l’avantage tactique des européens du nord. Mort au combat face aux francs, Abd al Rahman représentait la dernière tentative d’invasion musulmane en terre franque au delà de la Garonne. Pour Charles Martel cette nouvelle victoire militaire sur une puissance étrangère lui assurait un pas de plus en Aquitaine, pour continuer sa conquête politique et militaire de l’espace mérovingien. L’affrontement entre musulman et franc allait durer encore plusieurs année sur le sol de la Gaule Septentrionale, mais la poussée du nord rejetait de plus en plus les musulmane au delà des Pyrénées.

Avec l’oeuvre de Charles Martel et des Pippinides, un nouveau centre de gravité du pouvoir politique se formait au nord de la Gaule, entre le Rhin et la Meuse. La mort du dernier souverain mérovingien Théodoric IV en 737, annonça la fin d’une dynastie politique devenue inutile face à la domination des Pippinides du nord.

« Parallèlement, l’importance prise par la Gaule dans le monde occidental devait disjoindre les liens entre Rome et Byzance au profit de la Gaule : la fondation de l’Empire carolingien en sera la conséquence immédiate. »

LAURENT BUSSEAU-HISTORIEN-SANS-FRONTIERE COPYRIGHT 1999

BIBLIOGRAPHIE HISTORIQUE

Patrick Perrin et Laure Charlotte FEFFER, Les Francs : à l’origine de la France, Tome 2, Paris, Civilisations, Armand Colin 1987

Patrick J. GEARY, Le Monde Mérovingien, Paris, Flammarion ,1989

Fabienne CARDOT, L’Espace et le pouvoir : Étude sur l’Austrasie mérovingienne, Paris, Publication de la Sorbonne, 1987

Laure Charlotte Feffer et Patrick Périn, Les Francs, tome 2, Armand Colin, Paris 1987, p. 17

L.C Feffer et P.Périn, Les Francs, tome 2, Armand Colin, Paris , 1987, p. 17

ibid,…p.18

,Fabienne CARDOT’ l’Espace et le pouvoir : étude sur l’Austrasie mérovingienne p.155

 Major Domus correspond à la fonction de Maire du Palais , haute dignité mérovingienne créé sur le système byzantin comme serviteur et gestionnaire du domaine royal. De plus en plus cette fonction va prendre une importance politique dans le gestion même de l’État mérovingien.

,Fabienne CARDOT, Les espaces et le pouvoir étude sur l’Austrasie mérovingienne, p.159

 Le terme Comte était lié à l’ancienne fonction romaine du Comes civitas ou administrateur civil du système impérial, celui de Duc pour la fonction militaire du Duces. Le Comte représentait localement le pouvoir royal dans l’exercice de ses fonctions civiles et juridiques. Le Duc qui était lié essentiellement au pouvoir militaire devint peu à peu un échelon intermédiaire entre le comte et le roi. De plus en plus vers la fin du VIIIème le duc et le comte s’affrontaient directement pour défendre leur pouvoir régional personnel, à l’exemple du duc Eudes et du Comte Charles Martel.

 Encyclopedia Universalis, volume XIII, chap. Les Mérovingiens.

 Le nom des Pippinides représente la dysnastie austrasienne affilié à Pépin d’Herstal, qui fut le premier à créer une filiation directe par le sang pour la fonction de Maire du palais sans passé par l’autorité royale mérovingienne, car celle-ci était en pleine crise de succession pour le titre de Rex Francorum.

 Encyclopaedia Universalis, vol XIII, chap. Les Mérovingiens.

 Le terme berbère est une déformation du latin barbare donné par l’ancien monde romain aux peuples nomades d’Afrique du Nord

 Robert MANTRAN, L’expansion musulmane du VII au XI siècle, Nouvelle CLIO, PUF. 1991, Paris, p.35

 Littéralement « La montagne de Tarik » en rapport au rocher de la pointe espagnole aujourd’hui territoire britannique depuis 1812.

 Nom donné par les arabes à l’origine du mot Afrique

 Calife Omeyyade à Damas entre 705 et 715

 Jean LACAM, Les Sarrazins dans le haut Moyen Age français, Maisonneuve et Larose, 1965, paris, p.18 à p.19

 Encyclopédie Générale de l’Islam, vol 5 sur l’Occident musulman, Cambridge University Press, 1970, p.12, traduction de Marc GUICHARD et William DESMOND

 Ibid, p.13

 Al Andalus est le nom arabe pour toute la zone hispanique conquises par eux, incluant toutes les régions au delà des Pyrénnées orientales, pour être réduite avec le temps de la reconquista à la seule région du Sud espagnol avant 1492 et la chute de Grenade.

 La Septimanie représentait la région du Narbonnais, nommée Gallia Narbonensis, allant des Pyrénnée jusqu’au Rhône.

 Jean LACAM, les Sarrazins dans le haut Moyen Age Français, p.22

 Ibid, p.22

 Jean LACAM, les Sarrazins dans le Haut Moyen Age français, p.23

 Calife entre 724 et 743 à Damas, abd al Malik gouverna avec fermeté pour garder la ferveur religieuse au sein des pays conquis et pour sauvegarder le pouvoir central du Califat Omeyyade.

 Patrick J. GEARY, Le monde Mérovingien, Flammarion, 1989,Paris, p.232

 Patrick J. GEARY, Le Monde Mérovingien,Flammarion, 1989, Paris. p.233

 ibid, p234

 ibid, ..p.235

 Patrick J. GEARY, Le Monde Mérovingien, Flammarion, 1989, Paris, .p.235

 Fabienne CARDOT, L’Espace et le pouvoir : étude sur l’Austrasie mérovingienne,chap. Le royaume et la cité , p.157

 ibib, p.159

 Fabienne CARDOT, l’Espace et le Pouvoir : étude sur l’Austrasie mérovingienne, Chap. La cité dans le royaume, p.160

 Guy FAVREAU, Le diocèse de Poitiers, Centre d’Étude Médiévale Supérieur, p.17

 Balat el Shuhada signifie textuellement le chemin pavé des martyrs d’Allah. Le terme balat indique la pavement des routes romaines déjà utilisées par les arabes en Espagne et Afrique du Nord. Selon la terminologie musulmane il y a un jeu de mot avec la voie des Martyrs pour la Foi montant vers Allah en ayant accomplis leur devoir de croyant.

 Encyclopaedia universalis, chap. XIII, les Mérovingiens

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par Laurent Busseau 1999