Apparu au XIVe siècle, le terme français «ingéniosité» est issu du latin ingenium signifiant «esprit», une réflexion créatrice. C’est ainsi que le docteur américain Georges Taylor allait changer l’Histoire humaine avec une ingéniosité insoupçonnée en 1869. Il est le créateur du tout premier vibrateur mécanique, destiné à soigner l’hystérie chez la gente féminine sur le plan médical. Appareil expérimental vibratoire, mécanisé à vapeur et installé dans une table d’opération, était destinée à éviter au médecin des crampes de la main à répétition, lors du traitement par masturbation manuelle constante, effectuée sur des patiences déclarées médicalement hystériques.
Aux origines médicales de «l’hystérie» : une ignorance masculine depuis l’Antiquité
Avant la mise en place de la psychanalyse par Jung et Freud pour traiter le plan émotionnel, hormonale et intime de l’hystérie, le monde médical masculin associait cette maladie à plusieurs symptômes différents. Les premiers traités égyptiens mentionnaient une problématique de crise de nerf intense chez la femme. Hippocrate, savant grec et père de la médecine occidentale, traduit les textes égyptiens et mésopotamiens décrivant des symptômes chez la femme, liés parfois à des actes de violences, des tentatives de suicide, voir des infanticides dans le pire des cas. C’est lui qui invente le terme commun «Hystérie», du grec hysterion (utérus ou matrice) identifiant la croyance d’une «suffocation de la matrice» comme origine du problème de désordre et de folie chez la femme. Les savants romains prescrivaient des massages pelviens par jet d’eau sur leurs patientes, pour faire descendre «l’Hysterion», considéré comme un être vivant et malicieux. Ils préconisaient donc à l’épouse ou la veuve des cures thermales d’hydrothérapie, le «salute per agua» (la santé par l’eau) ou SPA.
Dénomination fourre-tout des hommes savants, comblant une ignorance totale sur la physionomie féminine de l’Antiquité jusqu’au début du XXe siècle, le mot hystérie englobait la démence, la période pré-menstruelle, la dépression post-natale, le traumatisme du viol marital, la nymphomanie et le simple besoin d’une sexualité épanouie pour la femme. Parallèlement, si le massage pelvien et utérin était déjà prescrit par les médecins égyptiens 2000 ans avant Jésus-Christ, la morale religieuse, les croyances traditionnelles et finalement la bêtise savante ont souvent imposé des traitements de chocs inutiles contre cette «acte de sorcellerie», tel que l’immersion en eau froide, l’enfermement à vie, le fouet, l’excision, le choc électrique, l’ablation de l’utérus, sans oublier le bûcher chrétien ou la décapitation islamique.
La naissance d’une thérapie moderne : le massage mécanisé médical
La plupart des véritables massages manuels pour guérir les «tensions et nervement du ventre» et «inviter les fluides à descendre» demeuraient la connaissance des guérisseuses ou des sages-femmes. Si au XIXe siècle, le «sale boulot» était souvent délégué aux infirmières et aide-soignantes hospitalières, toutefois l’invention de Taylor allait offrir aux médecins occidentaux une nouvelle technologie pour s’équiper d’instruments vibratoires. L’ingéniosité n’ayant aucune limite pour la science, grâce à la fée électricité et la perspective d’un traitement plus large de l’hystérie, le médecin britannique Joseph Mortimer Granville fait breveter en 1880 le premier vibrateur électromécanique, permettant de traiter six patientes à l’heure au lieu d’une seule. Cependant, Taylor et Grandville avertissaient qu’un usage excessif pouvait créer une dépendance physique de la patiente, nuisible à sa guérison.
Contre-révolution médicale dans le traitement de l’hystérie, le vibrateur va devenir un objet moderne dont l’évolution technologie va connaître un essor important. Une collection de vibrateurs électriques et à essence est exposée durant l’Exposition Universelle de 1900 à Paris. On y trouvait un premier modèle «individuel» révolutionnaire de vibrateur mécanisé, beaucoup plus compact, ayant une manivelle électrique faisant tourner un disque légèrement décentré, permettant la production de vibrations sur une tige caoutchoutée. En 1905, le vibrateur quitte peu à peu le domaine médical pour devenir le cinquième appareil électroménager le plus vendu, après la machine à coudre, le ventilateur, la bouilloire et le grille-pain. Dès 1910, des publicités américaines vantent son usage de plus en plus privé, comme une thérapie hygiénique, en conseillant au bon mari d’acheter cet appareil, pour offrir la relaxation à l’épouse nécessaire à la bonne marche du foyer. À l’idée d’un nouveau bien-être de la ménagère, le vibrateur électrique devient l’un des cinq objets domestiques les plus courants dans le catalogue de correspondance SEARS en Amérique du Nord.
L’ingéniosité de Georges Taylor d’avoir mécanisé la masturbation médicale, allait rendre un vibrant honneur à la santé physique et morale de la femme à long terme. Aujourd’hui devenu sujet tabou et complexe, le vibrateur est un des objets intime qui connaît une continuelle évolution culturelle et technologique. En 2012, le film britannique «Hysteria», rend un hommage humoristique à la création du vibrateur électrique de Mortimer Granville, durant l’époque Victorienne où une morale conservatrice dirigeait l’Empire britannique.
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Bibliographie
Foucault, Michel, Histoire de la sexualité : T1. La volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976.
Foucault, M., Histoire de la sexualité : T2. L’usage des plaisirs, Gallimard, Paris, 1984.
Maines, Rachel, Technologies de l’orgasme. Le vibromasseur, l’«hystérie» et la satisfaction sexuelle des femmes, Payot, Paris, 2009.
Edelman, Nicole, Les métamorphoses de l’hystérique. Du début du XIXe siècle à la Grande Guerre, Paris, Éd. La Découverte, 2003