La vision de la mort au Moyen Age a été longtemps associé à des croyances folkloriques, qui avaient été obscurcie par le poids social de la religion chrétienne. Plus tard, ce regard de la société médiévale sur les effets de la mort et son approche intellectuelle furent maintenus, par l’histoire républicaine contemporaine, dans le monde des superstitions religieuses.
Derrière l’image simplifiée de la lutte entre le bien et le mal que l’Église prônait dans son combat contre l’hérésie et le paganisme, la réflexion anthropologique nous propose de chercher au-delà des apparences trompeuses et des fards culturels que le présent laisse encore sur le passé. Les aspects historiques et géographiques de saint Guinefort ayant déjà été traité dans le livre ‘’Le saint lévrier Guinefort, guérisseur d’enfants depuis le XIIIe siècle’’ écrit par Jean Claude SCHMITT en 1979, nous allons ici exprimer l’aspect sociologique et psychologique lié à l’idée du passage entre le départ des uns et le deuil des autres. Le culte du passage interprète profondément le choix du mourant entre vie et trépas, qui se synthétise dans l’adage populaire lié à Saint Guinefort : ’’Saint Guinefort, pour la vie, pour la mort.’’
le document concernant ‘’L’adoration du chien Guinefort’’ est un exemplum sur le culte voué au saint lévrier Guinefort dans le diocèse de Lyon, tiré d’un volumineux recueil d’anecdotes rédigé entre 1250 et 1261, par le prédicateur dominicain Étienne de Bourbon (1195-1261).dans son œuvre ‘’Traité des diverses matières à prêcher’’, (Tractatus de diversis materiis predicabilibus). Étienne de Bourbon écrivit cet exemplum pour décrire sa propre enquête inquisitoriale, concernant les pratiques magiques et autres rites cultuels effectués par la population rurale. La littérature médiévale définit l’exemplum comme un récit bref, donné comme véridique et destiné à être inséré dans un discours. Se présentant sous la forme d’un sermon religieux, ce récit était un outil de propagande religieuse pour convaincre un auditoire populaire par une leçon salutaire et moralisatrice, dont les prédicateurs religieux, tant chrétiens que musulmans depuis le XIIe siècle, en connaissaient la portée scolastique sur un monde rural principalement illettré.
Le lieu géographique de cette anecdote scolastique du prêcheur dominicain se situait à une quarantaine de kilomètres au nord de Lyon, proche du village Neuville-les-Dames, sur le plateau élevé de la Dombes. Si le site de « Nova villae » nous est connu depuis 1006, l’étymologie et l’histoire du saint lévrier nommé Guinefort comportent plusieurs sources de croyances populaires et d’anciens cultes précis, qu’une étude va permettre de mieux comprendre. ‘’ De l’adoration du chien Guinefort’’ met en relief les différents aspects psychologiques et sociologiques de ces croyances rurales, car on distingue l’intérêt majeur de certains rites de la forêt exclusivement féminins, pour combattre les fièvres de leurs enfants malades. Celles-ci se définissent dans le cadre d’un nécessaire outil de cohésion communautaire, autant face à un environnement naturel ‘’sauvage et hostile’’, que pour le contexte socio-religieux des rapports de force entre espace rural et espace urbain, durant le XIIIe siècle médiéval.
Le culte de Guinefort évoquait un conflit spirituel et social entre croyance rurale et l’Église au sujet de la mort et de ses différents tabous. Civilisatrice et éducatrice des âmes des vivants, la pensée chrétienne s’imposait également le rôle de gardienne des âmes défuntes, par la vision mystique d’une résurrection au royaume du Dieu unique, que symbolise le Christ en croix. Face à la symbolique du chien Guinefort, le dominicain Étienne de Bourbon dénonçait en fait les effets de la superstition (superstitio), qui était utilisé comme objet de culte sacrilège contre ceux de l’Église chrétienne.
Il condamnait l’idolâtrie cultuelle de Guinefort qui était honoré comme un saint chrétien, par une population rurale dans le diocèse de Lyon, car comme le souligne Jean Claude Schmitt, l’idée que les superstitions étaient des ‘observations’ qui survivaient d’un autre âge dont elles étaient comme les témoins (superstites) et en même temps l’assimilation progressives des pratiques folkloriques à des survivances du paganisme, ont permis enfin à l’Église de juger superstitieuses les pratiques folkloriques qui s’éloignaient des normes fixées par elle.
Cette analyse retient la thèse d’un comportement sacrificiel sous la forme de l’abandon volontaire de l’enfant malade, qui se cacherait derrière le culte de Guinefort, ceci dans son contexte social, psychologique et anthropologique. Le sentiment de la mort existe fortement à travers le culte du lieu de Guinefort, car dans le cas précis des femmes de l’exemplum d’Étienne de Bourbon, les invocations et offrandes ne se tournent uniquement que vers les faunes de la forêt. Le terme de faune est utilisé pour définir symboliquement les esprits de la forêt, mais surtout la fièvre et les maladies qui touchent gens et animaux domestiques, dans le contexte du document. Le texte nous indique clairement que les fièvres sont nombreuses et dévastatrices sur la population infantile du Moyen Âge. La plupart des cultes liés à la Forêt et à ses représentants symboliques ou mystiques sont d’ordre psychologique contre la maladie.
Contexte symbolique et historique du lévrier Guinefort
L’origine de la légende du lévrier martyr est un fabliau nommé ‘’le lévrier, le faucon et le serpent’’ (voir le texte original dans, Lagarde, André et Michard, Laurent, Le Moyen Age, Paris, Bordas, 1960, pp. 111-112). L’origine littéraire de ce fabliau nous vient d’un conte indo-persan ‘’Sindibad’’ daté entre le VIIe ou IXe siècle, qui fut connu dès le Haut Moyen Age, puis au XIIe siècle sous le titre originel ‘’Les sept sages de Rome ‘’. Dans la version ‘’Canis’’ du XIe siècle, le serpent porte le nom de Sathanas. Son rôle symbolique serait de représenté les mauvaises croyances et les anciens cultes, qui attaque la Foi chrétienne dans sa faiblesse morale tel un enfant au berceau dans la légende de Guinefort.
Le chien présenté dans le texte est un lévrier devenu martyr, car ayant été injustement tué par son maître. Le lévrier était toujours considéré comme un animal pur au service de l’Homme. Chien de chasse, il fut longtemps considéré et recherché dans les hautes sociétés médiévales, tant en Occident quant Orient. Dans la société chevaleresque, le lévrier est aussi un emblème : on le rencontre en particulier représenté sur les tombeaux, aux pieds de la statue funéraire des gentilshommes dont il symbolise la foi chevaleresque et le mode de vie aristocratique, à l’exemple de la chasse.
Le lévrier est toujours associé aux chevaliers, jusqu’en dans la tombe du gisant. La noblesse aristocratique d’Étienne de Bourbon, prédicateur Dominicain se retrouve dans l’image du chien lévrier devenu le martyr de l’aveuglement de son maître, car n’oublions pas dans le jeu des symboles, que le chien crachant le feu est l’emblème de saint Dominique, dont les moines étaient nommés Dominicanes (chiens du Seigneur), ceux qui protègent la Maison par la voix ou les Hérauts de la parole de Dieu.
Dans la symbolique de l’hagiographie chrétienne, il existe de nombreux saints protégés par des chiens, même si pour le Moyen Age l’idéal du chien restait ambivalent et dualiste, autant que son antagoniste le Loup, il protégeait autant qu’il pouvait dévorer leur âme. Ce symbolisme de dévoreur est celui de la gueule, image initiatique et archétypal, lié au phénomène de l’alternance jour-nuit et mort-vie. La gueule dévore et rejette, elle est initiatrice, prenant, selon la faune de l’endroit, l’apparence de l’animal le plus vorace. Le personnage de Saint Guinefort apparaît comme un chien lévrier martyr, qui selon une croyance local découverte par le prédicateur Étienne de Bourbon, permettrait aux femmes des alentours de garder ou de perdre leurs enfants malades.
La légende du meurtre du lévrier et celle du saint guérisseur sont doubles et différentes. Guinefort rejoint le mythe du Chien chez les indo-européens, pour qui cet animal doué de magie à prévenir la venue de la mort, se trouvait toujours au seuil de la porte de l’Au-delà, frontière sacré entre les Dieux et les hommes, entre les puissances souveraines et le monde terrestre. Nombre de squelettes de chiens sacrifiés ont été retrouvés par fouilles archéologiques, dans les tertres protoceltiques et germaniques.
Dans le monde protoceltique de l’âge de Fer, plusieurs tombes découvertes en Europe occidentale possèdent les ossements de chiens sacrifiés auprès de leur maître. Des indications archéologiques font états de squelettes de chiens ayant été traités et évidés dans un cadre rituel. Certains de ces vestiges ont été retrouvés dans des lieux cultuels anciens, mais également rattachés à des cultes chrétiens comme à Saintes, Bordeaux et Saint Bernard qui demeure le plus célèbre.
Les différents rituels d’un culte médiéval universel
Le culte de saint Guinefort se retrouve en France et en Europe sous la même terminologie du nom Guinefort, ou un nom dérivé étymologiquement ressemblant. À son origine étymologique, Guinefort est un nom hydrographique d’origine germanique qui se décompose en deux syllabes, soit WINIFURT :
Guine = Win ou Wini ‘’(homme)ami’’ et fort = Furt ‘’passage, gué’’
Guinefort ( Winifurt) peut se traduire par ‘’L’ami du gué’’ ou encore ‘’L’ami passeur’’. En langue celte il existe le terme ‘’Gwynfor’’ qui signifie ‘’bel endroit’’ mais qui ne tient pas de la radical germanophone ‘’Wini’’. On retrouve les terminologies de Ginifert, Ginefort, ginfert, et winfërt en France.
On note que le lien entre Guinefort et un lévrier n’est pas reconnu partout. En Haute Bretagne, on le retrouve avec les mêmes caractéristiques cultuelles liées aux enfants malades. Néanmoins le personnage ne représente plus un chien, mais un saint humain symbolisant le lieu de son culte, sous la forme christianisé d’une chapelle. A Saint Broladre dans le département d’Ille et Vilaine, il existait un trou dans la muraille de la chapelle de Saint Guinefort ‘’qui donne la vie ou la mort’’. Ce trou servait à une consultation : on y mettait la tête de l’enfant qui était malade depuis longtemps, s’il la redressait, c’était signe de vie, s’il la laissait retomber, c’était une réponse de mort.
Ce culte reste apparenté à celui des trous dans la pierre ou dans le sol comme un ‘’passage à travers le trou qui juge’’ soit entre la vie et la mort. On le retrouve dans nombre d’autres cultes voués aux anciennes pierres et passages souterrains. Dans le cas géographique et culturel du village de Neuville-les Dames situé sur la plateau de la Dombes à une quarantaine de kilomètres au nord de Lyon, on perçoit plusieurs degrés de cultes différents sur un même espace géographique et tous liés à la sauvegarde de jeunes enfants malades de fièvre.
- le culte général de Saint Guinefort qui par un passage dans un trou ‘’donne la vie ou la mort’’
- le culte local du chien protecteur et de son lieu sacré (lucus)
- le culte celte du sureau, domicile des fées qui échangent les enfants malades contre les enfants en bonne santé
- le culte rural de transmettre à l’arbre et aux arbustes le mal et la fièvre des enfants malades
- le culte de l’immersion en eaux froides qui chasse le mal ou la vie des enfants
Un arbre cultuel : le Sureau
Dans sa grande généralité, l’Arbre connaît beaucoup de croyances liées à son pouvoir de guérison. Il exprime le culte caché des êtres comme des esprits vivants dans le lieu géographique et mythique de la forêt. Dans le culte de Guinefort, l’arbre joue un rôle d’intercesseur avec les esprits de l’Autre Monde que symbolise la Forêt. Il possède la double fonction passage entre Monde réel et Monde des Esprits, et de guérisseur volontaire pour garder et retenir les mauvais esprits de la fièvre.LaurentBusseau1999
Une autre fonction lui est attribué dans le texte, celui d’être le gardien de la mémoire de Guinefort. Dans de nombreux cas, le culte des arbres rejoint celui des pierres levées et des grottes souterraines, tel l’image du puis. Il reste un passage entre les esprits de la mort et les esprits des vivants. Dans le conte originel venu de l’Inde et retranscrit dans le livre « les sept sages », le Lévrier n’a aucune tombe, cette métaphore pourrait bien venir de l’endroit géographique du culte ou aussi du prédicateur Étienne de Bourbon.
Le Sureau (Sambucus en latin) reste un arbre initiatique et magique car pour la religion celte, il est aussi un arbre de la nuit, car le temps du Sureau correspond aux nuits les plus longues. Le Sureau représente le treizième mois du calendrier celtique (du 25 Novembre au 22 décembre) et se symbolise par la lettre Ruis. En parallèle à la protection contre les maladies enfantines et son folklore, notons que la tradition celte préconisait de ne jamais fabriquer un berceau en bois de Sureau, de peur que les mauvaises fées ne viennent ‘’pincer’’ l’enfant qui dormait.
Cet aspect magique du Sureau se retrouve dans le folklore rural, qui attribue au fleur de cette arbre le rôle d’être la cache secrète des fées de la Forêt. Celles-ci permettaient de communiquer avec les Esprits de la Forêt et des eaux douces environnantes pour échanger des enfants malades contre des nourrissons en bonne santé. Rappelons simplement que suivant une croyance très répandue en Europe, les fées volaient les enfants qui leur plaisaient pour y substituer les leurs, car ces derniers représentaient des enfants noirs et laids par la maladie, donc de santé fragile. En Haute Bretagne quand un enfant né présentait cette particularité, on disait de lui qu’il était un ‘’enfant des fées’’.
Dans la tradition celtique, le buisson est fortement lié à l’arbre, il symbolisait la science de la vie. Il tenait également des facultés médicinales selon sont origines premières. Le fait d’accrocher les langes des enfants malades à des buissons, se retrouvait dans plusieurs régions de France, comme la Bretagne, le Poitou, les Ardennes et La Bourgogne. Cette action était liée à la plantation de clou et d’épingle avec des prières, chansonnettes et incantations divers, sur le buisson blanc, l’Aubépine, accompagné par une offrande de pain et de sel pour abandonner sa fièvre à l’arbuste, comme nous l’indique le vieux adage
« Adieu, buisson blanc : je te porte du pain et du sel et la fièvre pour demain.’’
Le bois où les femmes vont pratiquer leur rituel contre les maladies des enfants est dénoncé par Étienne de Bourbon comme un ancien lieu de culte idolâtre où une population rurale environnante vient faire pèlerinage pour guérir des maux divers. Le terme latin de Lucus utilisé par le dominicain pour définir l’endroit du culte rendu à Guinefort, nous donne une information de comportement social. Ce ‘’bois sacré’’ était utilisé pour lutter contre les maladies naturelles qui infestaient la région marécageuse de la Dombes. La présence physique d’un culte lié au chien est attesté par Étienne de Bourbon lui-même.
« Ad locum autem accesimus, et populum terre convocavimus, et contra dictum predicvimus. Canem mortuum fecimus exhumari et lucum succidi, et cum eo ossa dicit canis pariter concremari,et edictum poni a dominis terre de spoliactione et redempcione eorum qui ad dictum locum pro tali causa de cetero convenirent. »
Le mythe de Guinefort : un soutien psychologique
Le point commun de tous les lieux où Guinefort apparaît, demeure le besoin de confronter la mort des enfants malades en abandonnant au soin de celui-ci, le rôle de trancher en faveur de la vie ou de la mort de l’enfant. L’aspect sociologique de Guinefort lui donne la lourde responsabilité de définir si l’enfant (ou à de rare fois un adulte vieillissant et malade) doit passer ou non le seuil de la mort. Le premier abord du phénomène de Guinefort c’est qu’il représente un support psychologique et sociologique de la perte d’un enfant par sa mère, aidant celle-ci à supporter le choc sous un camouflage culturel et cultuel contre le fléau des fièvres. On peut retenir que l’idéologie primordiale et constante reste celui d’un passage psychologique ou la mère de l’enfant malade accepte la mort naturelle. Guinefort est un rituel de femme autant lié à la nativité qu’à la mort des enfants. Les hommes sont totalement absent des intercessions auprès de Guinefort, mais la mère avec son enfant sont seuls face à la maladie et au sort, aidés par une vieille femme qui connaît les gestes et les mots de guérison. Cette dernière vivait aux frontières des lieux habités par la société humaine. L’importance du Sureau et des arbustes à langes est crucial dans le rite de Guinefort, car ils sont les éléments complémentaires qui offrent la possibilité de ‘’négocier’’ une possible guérison des enfants. Le rôle de la vieille femme et des clous plantés dans l’arbre sont des outils tant physique que psychologique pour rassurer et disculper les mères face à la situation de crise.
Si l’aspect de l’infanticide reste également soulevé par l’abandon des enfants, que représentent les risques de la calcination avec le rituel des bougies ou les risques des carnassiers sauvages (on retrouve ici le loup comme antagoniste non domestique du chien), je pense que la première opération du rituel de Guinefort reste de préparer moralement une mère à perdre son enfant.
Le rite de ‘’l’abandon’’ au sort du destin est une épreuve de survivance et de vitalité. Si la nature sauvage rejette l’enfant, cela signifie qu’il n’appartient pas aux maladies naturelles des marais. Jean Claude Schmitt souligne que le rite du passage à travers les troncs d’arbres correspond à celui de l’immersion dans les eaux froides de la rivière. Par neuf fois l’enfant fait le passage entre les troncs d’arbres symbolisant une frontière mythique entre état sauvage et état domestique de la vie rurale. Par neuf fois également on immerge l’enfant dans l’eau, symbolisant un passage entre le monde connu aéré et sec et celui humide, froid et obscur des eaux magiques. Idée de passage et de transit entre deux mondes distincts, celui domestique de la vie et l’Autre monde.
Le symbolisme de Guinefort ressemble fortement à un passage au purgatoire sous forme de jugement dernier, où l’âme des vivants est étudié pour en connaître le véritable destin. Destin de vie, destin de mort, Guinefort ne guérit pas, il pèse et authentifie le passage vers la vie ou vers la mort. Dans l’invocation à Saint Guinefort, les femmes procèdent elles-mêmes à un jugement impartial qui neutralise inconsciemment leur attachement maternel à l’enfant. Acteur neutre et suprême, Guinefort représente le dernier intercesseur entre humain mortel et esprit de la forêt qui symbolisent les fièvres et autre maux de la nature, et contre lequel la connaissance rurale ne pouvait rien. Dans son contexte social, Guinefort demeure une aide thérapeutique contre la mort et ses deuils. Repliée sur elle-même, la communauté paysanne devait se défendre contre un environnement hostile, dangereux et inconnue que celui de la Nature climatique et géographique par laquelle les paysans ruraux survivaient au XIIIe siècle.
Dans les Hautes Alpes, l’invocation de plusieurs noms de créatures non chrétiennes étaient traduites dans le langages des inquisiteurs catholiques par Satan ou Lucifer. Dans le cas de la traque à l’hérésie, des paysannes interrogées se reprochaient leur demande de protection au Diable vis à vis de l’Église, bien souvent pour cacher ou expliquer des rites de protection pour leurs enfants. Dans le cas de protecteur d’enfants comme Ginifert ou Guillfert en Dauphiné, le langage inquisitorial nous donne des informations incomplètes.
« Souvent le diable exigeait des sorcières le sacrifice de leur premier né. Parfois les sorciers donnaient d’eux mêmes leurs enfants au Diable. » La vision des inquisiteurs pour « ces offrandes d’enfants à Lucifer » laisse apparaître l’idée d’un rituel de sacrifice, où l’enfant représente un acte de soumission diabolique au démon, trace défiguré de cultes ruraux anciens.
On retrouve Guinefort sous la forme d’un démoniaque poupin, un diable à la figure d’un enfant blanc, selon les termes même des frères dominicains enquêteurs. Au XIVe siècle en pays dauphinois, les inquisiteurs relèvent plusieurs témoignages troublants : « Jeanne, veuve d’Antoine Élie de Moydans, pour guérir sa fille malade, apprend à invoquer Ginifert qui à la figure d’un enfant au blanc visage et à la longue tunique et à la ceinture noire. »
L’idée du ‘’sacrifice’’ des enfants autour des différentes formes ritualisées de Guinefort semble imposer un éloignement physique et moral aux mères qui sont dans le désespoir de voir agoniser leur enfant. L’action de laisser le sort jouer en faveur ou non de la guérison de l’enfant laisse percevoir une méthode ritualisé de soutien au deuil, autant pour les mères que pour toute la communauté. En anthropologie, la thanatonomie est l’étude de le mort volontairement donné à un agonisant proche du décès. Dans plusieurs sociétés primitives et rurales, on retrouve une suggestion collective de ritualisé la guérison probable vis à vis du malade mourant, pour sauvegarder la cohésion social du groupe. Un suivi moral très ritualisé soutient le mourant en procédant dans le même temps à une activation du deuil et de son trépas .LaurentBusseau1999
Diaboliser le rituel de Guinefort revenait pour l’Église à diaboliser une certaine pratique de deuil, elle s’opposait à la vision du bonheur christique post mortem. Selon les critères de l’Église, tout chrétien devait ‘’mourir dans la paix de Dieu’’ et non dans une vision réelle de mort déguisée par un ensemble de croyances païennes ancestrales. A l’idée de la mort comme une réalité cruelle, causée par des dieux courroucés ou par la fatalité du destin, le christianisme a substitué l’idée de la mort comme une invitation de la part du Christ, qui appelle l’âme dans l’au-delà et envoie ses messages pour l’accompagner à travers les dangers du voyage. Dans l’exemplum d’Étienne de Bourbon, on retrouve cette présence maléfique à travers l’invocation aux faunes, et la présence du Loup qui est devenu le Diable dévoreur d’enfant. Son symbolisme d’animal démoniaque ne nous éloigne pas de son rôle possible de fossoyeur naturel. Son symbolisme de mangeur d’âme dans l’imagerie médiévale rejoint fortement l’idée de sacrifice aux esprits de la Forêt.
Psychologie du folklore rural : vaincre la peur de la mort
La tradition orale lié à Guinefort s’est propagé et à survécue au désert social de l’oubli, à travers le temps. Le lieu de la sépulture qui définit le cadre légendaire et folklorique de saint Guinefort, qu’il soit sous forme de chien, d’humain ou de poupin blanc comme la mort, démontre une logique de survie d’une croyance utile et nécessaire à toute une population. La tombe et le squelette du chien relie plusieurs traditions orales, qui symbolisent le même syndrome ; lutter contre la maladie, tout en acceptant la sentence du destin. Il est important de souligner qu’il n’y a aucune ‘’haine ou vengeance’’ contre le site de Guinefort hors mis le dominicain et malgré un nombre élevé de décès d’enfant sur le lieu même du rite. L’acceptation morale de la mort passe par le rôle symbolique de Guinefort.
L’étude du culte de Guinefort nous permet de dégager plusieurs comportements sociaux et culturels face à la mort d’enfant de bas âge par maladie. Le document d’Étienne de Bourbon nous renseignement sur un aspect encore mal étudier de l’univers rural médiéval, soit le rôle des rituels non religieux pour gérer les effets psychologiques et médicaux causés par les maladies, les cas de deuil et la peur des espaces non domestiqués. Devant l’inconnu de la maladie, particulièrement dans les cas des enfants, le mythe de Guinefort pose la question de savoir s’il existait des solutions locales d’aides et de soutiens moraux, sociaux et psychologiques au sein des communautés rurales du Moyen Âge.
Le rite folklorique qui subsistait il y a encore peu au lieu même du Guinefort d’Étienne de Bourbon et attesté par les recherches de Jean Claude Schmitt en pays de Dombes, nous indique l’importance pratique du culte de Guinefort, ceci pour répondre aux besoins de secours spirituels et intellectuels d’une population rurale face à la mort des siens. On peut penser que bien avant le passage chez le saint lévrier Guinefort, la médication locale a été utilisée pour remédier au mal. Il est à noter que l’appel ‘’au secours’’ d’un saint protecteur se faisait (et se fait encore de nos jours) que lorsque la religion officielle ou la médecine scientifique n’ont pu apporter aides et assistances. Guinefort permet aux mères impuissantes devant les fièvres mortelles, de justifier un ‘’sacrifice d’abandon’’ des enfants incurables de leur mal. Ce sacrifice moral d’une mère devient supportable et acceptable devant la prise en charge de l’abandon à une mort inexorable par l’action du ‘’peseur d’âme’’ que représente le mythe de Guinefort. Celui-ci reste un protecteur et un passeur d’âme, comme nous le rappelle sont nom premier européen ‘’Winifurt’’, image jumelle d’Anubis l’égyptien et des antiques cerbères de l’Enfer.
Bibliographie de base sur le culte de Guinefort
SCHMITT, Jean-claude, Le Saint lévrier Guinefort, guérisseur d’enfants depuis le XIIIe siècle, Paris, Flammarion, coll. bibliothèque d’ethnologie historique, 1979.
BERLIOZ, Jacques, Saints et Damnés : La Bourgogne du Moyen Age dans les récits d’Étienne de Bourbon, inquisiteur (1190-1261), Dijon, Edition du Bien public, 1989.
SPEER, B, Mary, Le Roman des sept Sages de Rome, Lexington, Kentucky , coll. Edwards C Amstrong monographs on médiéval literature, French Forum publisher, 1989.
GREEN, Miranda, Animals in celtic life and myth, Routlege, London and New-York, 1992.
THIBAUD, Robert-Jacques, Dictionnaire de mythologie et de symbolique celte, Paris, Edition Dervy, 1995
LEACH, Maria, God had a dog, folklore of the dog, Rutgers University Press, News Brunswick, 1961.
SÉBILLOT, Paul, Le Folklore de France,4 vol., Maisonneuve et Larose, Paris, 1967-1968.
ZINK, Michel, La prédication en langue romane avant 1300, Paris, édition Honoré Champion, 1976
VROONEN, Eugène, Encyclopédie des noms des personnes, Paris, Édition Universitaire, 1973.
Filmographie
‘’Le moine et la sorcière’’, film français de 1986 réalisé par Suzanne SCHIFFMAN en collaboration avec l’historienne américaine Paméla BERGER, durée 98 minutes, en couleur, catégorie drame historique. Le film est basé sur une étude historique du recueil d’Étienne de Bourbon rédigé entre 1250 et 1261 ‘’Traité des diverses matières à prêcher’’.
Le film « Le moine et la Sorcière »nous retrace ‘’l’exemplum’’ du lévrier saint Guinefort dans le petit village bourguignon de Villars les Dombes, que le prédicateur dominicain Étienne de Bourbon investit pour sa propre enquête inquisitoriale, concernant les pratiques magiques et autres rites cultuels effectués par la population féminine rurale. On distingue l’intérêt majeur de certains rites de la forêt, pour combattre les fièvres de leurs enfants malades. Le contexte historique du film permet de comprendre les différents enjeux culturels et religieux entre la noblesse de robe et terrienne face au monde paysan. Ce document cinématographique met un accent très fort sur les besoins psychologiques des femmes du monde rural face aux maladies diverses, ceci malgré les interdits de l’Église officielle représentée par le dominicain prédicateur. Le film nous offre plusieurs informations historiques sur les différentes croyances et connaissances médicinales, lié à certaines plantes et herbes sauvages ( utilisation des fleurs de sureau, saison des cueillettes, etc..).
Le personnage central : l’auteur Étienne de Bourbon
Étienne de Bourbon (stéphanus di borbonna en latin) né entre 1190 et 1195, était un prêcheur dominicain au service de l’Inquisition catholique romaine, originaire de belleville-sur-Saône. Principalement basé dans le diocèse de Lyon vers 1223, il participait à l’évangélisation des régions de la Champagne, la Bourgogne et le Massif d’Auvergne. Son activité première était celle d’un enquêteur d’investigation sur le terrain contre l’Hérésie. Son travail ne représentait pas une chasse aveugle aux sorcières pour les torturer moralement et physiquement, mais son rôle premier se plaçait dans le cadre de l’Inquisition au XIIIe siècle, qui était d’enquêter et de confondre tout acte se mettant en opposition à la Foi catholique. Entre 1223 et 1250, il mena des enquêtes rigoureuses et il ne se fiait qu’à la véritable preuve concrète d’une dénonciation. Loin des invraisemblables tortures que l’on accorde à l’Inquisition du XIIIe siècle, Étienne de Bourbon comme la plupart des prédicateurs dominicains, utilisait comme outils d’investigations le questionnement, la prédication et un bon sens de l’observation pour déjouer et prendre « l’ennemi de la Foi ». Seules les justices seigneuriales ou royales avaient autorité pour emprisonner, torturer ou exécuter une personne accusée de sorcellerie par l’Inquisition. Excellents orateurs, les dominicains savaient manipuler les esprits fragilisés par la détresse psychologique causée par la mort, la peur ou la famine, pour en tirer toutes les informations nécessaires.
A partir de 1250 jusqu’à sa mort en 1261 au couvent des dominicains de Lyon, Étienne de Bourbon nous a laissé un ensemble d’anecdotes vécues ou entendues, dans son œuvre ‘’Traité des diverses matières à prêcher’’, (Tractatus de diversis materiis predicabilibus) Son fond littéraire nous indique une réelle volonté d’enseigner et de démontrer le sens profond de la Foi dominicaine, grâce à l’aide d’image théologique, d’historiette populaire et de petit fabliau moralisateur. Le chien lévrier Guinefort demeure un exemple important de toute la technique de persuasion utilisé par Étienne de Bourbon, pour prouver au lecteur de peu de foi une logique de pensée, où la religion chrétienne demeure le seul salut.
La faune et la flore autour du lévrier Guinefort
Le chien : un lévrier
du Latin Canis, le chien présenté dans le texte est un lévrier devenu martyr, car ayant été injustement tué par son maître. Le lévrier était toujours considéré comme un animal pur au service de l’Homme. Chien de course avant d’être de chasse, il fut longtemps considéré et recherché dans les hautes sociétés médiévales. Venu d’Orient par l’Espagne musulmane ( El Andalou), il fut surtout connu en Europe dès le XIIe siècle grâce aux croisades en Terre Sainte.
Le lien hagiographique entre Saint Guinefort et le culte fait à un chien lévrier ne se retrouve que dans le récit d’Étienne de Bourdon.. A l’origine le culte ritualiste du Chien en Europe est d’origine pré-celtique, car le Chien représente le gardien de l’Au delà des guerriers pour les indo-européens. Le Chien est resté symbole du Gardien des Portes du ou des passages vers l’Autre Monde.
Dans l’hagiographie chrétienne, il existe de nombreux saints protégés par des chiens. Le symbolisme du chien est ambivalent et dualiste, autant que son antagoniste le Loup, il protège autant qu’il peut dévorer.
Il est bénéfique, car le chien est le plus proche animal de l’homme et le gardien vigilant de sa demeure ; maléfique car, apparenté au loup et au chacal, il apparaît comme un animal impur et méprisable.
Le Loup Nom Latin Lupus.
Animal antagoniste du chien, il apparaît dans le texte comme étant le Diable lui-même, selon les paroles et la pensée du Dominicain. Son apparition dans le texte le démontre comme un prédateur de la forêt, venu semble-t-il pour dévorer l’enfant déposer par la mère. Le Loup devenu dévoreur d’enfant par son symbolisme d’animal sauvage ne nous éloigne pas de son rôle possible de fossoyeur naturel, ni même de son dualisme de mangeur d’âme face au rôle protecteur du chien. Dans l’imagerie médiévale il est fortement lié aux esprits de la Forêt. Voir le No 10 de la revue « Histoire Médiévale » consacré au Loup.
La Fourmi du latin Formica.
La fourmilière est lié à des rites de fécondité, car celle-ci symbolise l’organe sexuelle féminin. Dans plusieurs cas de croyance, on exprime le fait que les femmes stérile doivent s’asseoir sur la fourmilière pour ‘’être fécondé’’ par l’esprit de la Terre. La fourmi reste le symbole d’abondance et de prospérité que donne au monde agricole la force de la Terre retournée, comme une fourmilière. Pour Étienne de Bourbon, le culte ‘’invisible’’ des femmes envers les fourmilières demeure celui d’un rituel caché de la fécondation.
Les Faunes
En latin faunus signifie ‘’petits génies champêtres’’, lié au culte de la fécondité des troupeaux et des champs.
Le terme de faune est utilisé pour définir symboliquement les esprits de la forêt, mais surtout la fièvre et les maladies qui touchent gens et animaux domestiques, dans le contexte du document. Le texte nous indique clairement que les fièvres sont nombreuses et dévastatrices sur la population infantile du Moyen Âge. La plupart des cultes liés à la Forêt et à ses représentants symboliques ou mystiques sont d’ordres médicaux pour la guérison d’enfant.
Le Serpent
du latin serpens ‘’qui rampe’’.
Son rôle symbolique serait de représenté les mauvaises croyances et les anciens cultes, qui attaque la Foi chrétienne dans sa faiblesse morale, tel un enfant au berceau dans la légende de Guinefort, Le serpent synthétise la thèse du mensonge qui par son venin et ses attaques perfides, détourne les hommes de bonne volonté (chrétienne) de la vérité et du respect de Dieu. À l’exemple du mythe d’ Adam face à Ève, le serpent garde toujours une place dans la croyance catholique, qui dans le vocabulaire des prédicateurs ecclésiastiques est donné en exemple comme l’image popularisé et ‘’médiatique’’ de la facilité à croire aux anciennes religions et cultes condamnés par l’Église. Dans la version ‘’Canis’’ du XIe siècle, le serpent porte le nom de Sathanas.
Le culte de l’Arbre
Nom latin Arbor.
Dans sa grande généralité, l’Arbre connaît beaucoup de croyances liées à son pouvoir de guérison. Il exprime le culte caché des êtres comme des esprits vivants dans le lieu géographique et mythique de la forêt. Dans le culte de Guinefort, l’arbre joue un rôle d’intercesseur avec les esprits de l’Autre Monde que symbolise la Forêt. Il possède la double fonction passage entre Monde réel et Monde des Esprits, et de guérisseur volontaire pour garder et retenir les mauvais esprits de la fièvre.
Une autre fonction lui est attribué dans le texte, celui d’être le gardien de la mémoire de Guinefort. Dans de nombreux cas, le culte des arbres rejoint celui des pierres levées et des grottes souterraines, tel l’image du puit. Il reste un passage entre les esprits de la mort et les esprits des vivants. Dans le conte originel venu de l’Inde et retranscrit dans le livre ‘’les sept sages ’’, le Lévrier n’a aucune tombe, cette métaphore pourrait bien venir de l’endroit géographique du culte ou aussi du prédicateur Étienne de Bourbon.
Le Sureau
Nom Latin Sambucus. Le Sureau reste un arbre initiatique et protecteur magique, il est aussi un arbre de médecine .
L’aspect magique du Sureau se retrouve en Basse Bretagne où le folklore local attribue au fleur de cette arbre d’être la cache secrète des bonnes Dames de la Forêt, qui auraient fui les fontaines et les cours d’eau . Ces fées réfugiées dans les fleurs du Sureau permettaient de communiquer avec les Esprits de la Forêt et des eaux douces environnantes, ou pour échanger des enfants.
En d’autre lieu, La branche du Sureau éloigne les serpents et les maladies contagieuses, uniquement si on les dépose devant sa porte le matin même avant le jour levé.
Sur le plan médical, certains arbres tels que le Sureau sont des guérisseurs de fièvre, car le mal se transmet à l’arbre grâce à des incantations et la plantation de clou. Dans le cas de Guinefort, le Sureau représente un arbre magique et guérisseur de fièvre. Dans la mythologie chrétienne, le Sureau est un arbre de justice maléfique et noire, car il est l’arbre qui porta la pendaison de Juda, l’apôtre qui avait vendu le Christ.
Le Buisson ou arbrisseau
Dans la tradition celtique, le buisson est fortement lié à l’arbre, il symbolisait la science de la vie. Il tenait également des facultés médicinales selon sont origines premières. Le fait d’accrocher les langes des enfants malades à des buissons, se retrouvait dans plusieurs régions de France, comme la Bretagne , le Poitou, les Ardennes et La Bourgogne. Cette action était lié à la plantation de clou et d’épingle avec des prières, chansonnettes et incantations divers :
Source historique : manuscrit du XIIIe siècle à la Bibliothèque Nationale de France /
Référence : B.N , ms. latin 15970
Traduction composée par Jean Claude Schmitt en 1979 pour son ouvrage: « Le saint lévrier Guinefort, guérisseur d’enfants depuis le XIIIe siècle. »