Queen Lill et son «Palace of Sin» sur la frontière québécoise 1910-1929

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Queen Lill et son palace du péché…

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Entre 1910 et 1930, la prohibition américaine a offert un nouvel essor économique dans les Cantons-de-l’Est autour des loisirs et du commerce illicite d’alcool et de prostitution. Le meilleur exemple est celui du Palace of Sin, situé directement sur la ligne frontalière entre Glen Sutton et East Richford au Vermont. Sa propriétaire, Lilian Miner, est une femme d’affaires singulière, connue sous le nom de «Queen Lil» de Boston à Montréal.

Prohibition et tourisme sexuel lucratif sur la frontière

Dans le contexte des lois fédérales américaines interdisant la fabrication et la vente d’alcool (The Blue Law) et la traite des blanches et des mineures(The Mann Law), les villages frontaliers canadiens ont vu croître, plusieurs hôtels offrant alcool, jeux et prostitution à une clientèle mâle venant principalement des États-Unis. Toute la région jouait la carte du plaisir et de la distraction pour les voisins du Sud.

Dans le village de Dunham, les soirées dansantes se développent au son du Charleston autour du lac Selby, notamment au Selby Lake Inn. De même, une salle de l’hôtel de ville de Dunham est louée et aménagée pour projeter des films muets, par un certain monsieur Call.LaurentBusseau2007

Du lac Champlain à Frelighsburg, les chemins frontaliers connaissent un trafic nocturne constant de voitures et de camions chargés d’alcool pour les grandes villes américaines. Certaines fermes sur les lignes servent de point d’échange pour les trafiquants. À St-Armand, des habitants se souviennent des histoires de passeurs « Mon grand-père m’a raconté que certains soirs, les granges étaient louées pour la nuit, mais personne ne devait sortir de la maison.»

Le développement ferroviaire autour de Sutton et Abercorn ouvraient également une porte économique avec les trains du Canadian Pacific-Line, reliant Boston et Portland à Montréal. Certains s’arrêtent à Abercorn pour déposer une clientèle particulière venue jouer, boire et s’amuser si affinité.

Plusieurs « maisons de la ligne », soit des hôtels et des whiskey’s lounge avec prostituées, apparaissent et longent la ligne de chemin de fer à la frontière du Vermont. La plus fameuse se situe sur la ligne fontalière elle-même, le palace de Lilian Miner, The Queen Lil’s palace.

Lilian « Lil » Miner: The Queen Lil’s Madam

Lilian Miner est née en 1866 à Stevens Hill dans le comté de Franklin au Vermont. Ses parents sont Mary et William Miner. Adolescente, Lilian s’enfuit de la maison parentale pour se marier avec un certain A.G Shipley, voyageur de commerce, faux médecin, voleur de chevaux et pilleur de tombe. Au début du XXe siècle, Lilian se sépare de son encombrant amant, elle va devenir une tenancière de Maison de plaisir à Boston, comme gérante. Après avoir travailler comme caissière dans un gymnase du célèbre Faneuil hall, Lilian développe une nouvelle carrière de gérante dans un bordel bostonien. Elle amasse une fortune personnelle importante.

En 1910, Lilian est connue commeThe Madam à Boston, mais elle doit quitter la ville précipitamment avec ses économies accumulées pour fuir une arrestation policière imminente. De retour dans la ferme familiale à Stevens Hill, elle achète aussitôt les fondations d’un ancien hôtel incendié d’East Richford, à cheval sur la frontière internationale, pour le reconstruire.

Une loi fédérale américaine interdisant toute construction sur la frontière, un procureur du comté de Franklin poursuit Lilian pour empêcher son projet. Elle engage alors un avocat de Boston, P.B Gill, qui fait valoir que la nouvelle propriétaire effectue des réparations et non une nouvelle construction. En 1911, Lilian Miner devient l’heureuse propriétaire d’un bordel international à l’âge de 44 ans.

Le nouvel établissement devient le « The Queen Lil’s Palace » (le Palais de la Reine Lil) avec comme atmosphère, deux bars situés au rez-de-chaussée de chaque côté de la réception, l’un dans le Vermont, et l’autre au Québec.

«Queen Lil» recrute la plupart de ses prostituées à Montréal et à Boston, parmi des jeunes filles ayant les qualités requises pour la clientèle et les inclinations à faire du profit. Divisé en deux parties, l’hôtel permet d’échapper aux descentes de police des deux pays.

Avec la prohibition de 1923, l’hôtel de trois étages devient un arrêt incontournable pour un grand nombre d’hommes d’affaires et des fonctionnaires des villes alentour. Les deuxième et troisième étages servent au soulagement des innocents et des clients ivres. Un Indien Abénakis, Joe Shoes, y maintient l’ordre.

caricature du Women Christian’s league à Boston

Parfois le voisinage et les ligues protestantes luttant contre la vente d’alcool dénoncent les activités du palais de Lilian, sans pour autant inquiéter The Madam, qui contribue financièrement au Women’s Christian Temperance Union en le faisant savoir dans le journal The St Albans Messenger «a bequest from Lilian Miner, gentlewoman.».

Malgré un bon réseau d’influence et d’avocats, Lilian ne peut échapper à la justice fédérale. Le 12 juin 1925, une intervention policière conjointe surprend l’hôtel à 3 h du matin. Un journal vermontois, The St Albans Messengers, rapporte que « L’établissement de la Reine Lill, bien connu comme un endroit de débauche, prostitution et dévergondage a été la victime d’un encerclement par les polices des États-Unis et du Canada. Cinq couples ont été appréhendés en flagrant délit, trois du côté américain et deux du côté canadien, deux hommes et deux femmes nus et les autres peu vêtus… ».

La présence de fille mineure ayant moins de 21 ans, notamment sa propre nièce Betty Nelson, lui impose une lourde amende de 150$ US, car elle contrevient à la Loi Mann sur la Traite des Blanches et mineures.

Malgré cette arrestation, The Queen Lil’s Palace continue sa vocation, mais c’est la crise de 1929 et la Grande Dépression qui décident Lilian à échanger sa vie de « Queen Lil» contre celle plus paisible d’une femme de campagne. Mariée avec Stanley Fleury, un homme de son village natal Stevens Hill, elle donnera naissance à Harry et Virginia.

Elle meurt paisiblement en 1941 à l’âge de 73 ans, non sans avoir toujours conduite une puissante voiture Lincoln douze cylindre et avoir déclarée à un journaliste venu la rencontrer., «Je suis désormais la devenue la Reine Lil des collines…».

Par Laurent Busseau-copyright2007

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