Info :Texte d’opinion paru dans le journal La Nouvelle République du 3 septembre 2012 à Poitiers (86 Vienne) pour indiquer les noms de toutes les victimes fusillées à Bondilly-St-Cyr en 1944
Soixante-huit ans après, l’Histoire de la Libération en France pose-elle encore une problématique d’éthique historique, face à la réalité du devoir de mémoire? Si les universitaires pensent avoir produit une réflexion ouverte sur le sujet, quelques historiens régionaux semblent ne pas se poser la question suivante : doit-on revoir en profondeur notre historiographie sur cette période trouble qu’est la Libération?!
Pour chaque guerre passée, il est un réflexe historique où la mémoire collective d’une nation garde en souvenir la souffrance subie, demeurant longtemps aveugle à la même souffrance rendue à toute nation déclarée «ennemie». Cela devient encore plus vrai lorsqu’il s’agit d’une mémoire collective locale.
Un cas intéressant dans le Poitou, où depuis 2004 un travail acharné et minutieux de recherche, par plusieurs citoyens et professionnels, a permis de reconstituer une triste histoire concernant deux exécutions sommaires, celle de six civils français fusillés par les troupes allemandes dans la nuit du 29 août 1944, puis celle de trois auxiliaires féminines allemandes dans le village de Saint-Cyr dans la Vienne.
Reconstitué l’histoire de ce double drame pour toutes les victimes (françaises et allemandes) représentait une défi contre une amnésie historique collective, qui pendant soixante ans (1944-2004) était figée dans un souvenir historiquement amputé «de faits et d’acteurs». Ce dossier sur «Les oublié(e)s de Bondilly» trouve enfin aujourd’hui une réponse inattendue dans des archives découvertes lors d’une vente salle Drouot à Paris.
En effet, en juin dernier, des archives personnelles d’un ancien officier des Forces Françaises Intérieures (FFI) de la Vienne, celles du colonel Blondel alias «Michel», ont été authentifiées et analysées pour une vente aux enchères. Le témoignage des archives de «Michel» est sans équivoque, définissant l’origine d’un silence mortuaire qui figea le double drame de Saint-Cyr dans un oubli historique.
Selon un descriptif minutieux des archives, une information retient notre attention, «Ici on est ému par de vrais soldats de la résistance qui donnèrent leur vie pour leur cause (…) là on est pour le moins stupéfait de comportement de quelques soudards avinés qui ont préféré se frotter aux allemandes plutôt qu’aux allemands». Plus surprenant, une simple phrase met enfin en lumière la tragique captivité des trois jeunes femmes allemandes fusillées dans le cimetière de Saint-Cyr en septembre 1944, car elles «furent livrées pendant trois semaines aux sauvages orgies d’une horde de soudards..».
Que penser de notre Histoire de la Libération, quand les choses ne sont pas simples et que le devoir de mémoire ne s’écrit que dans un sens?! Cette lettre est une invitation à revoir le passé. Revoir n’est pas une révision ou une négation des crimes nazis, mais bien une correction sincère sur des faits passés, car comme le souligne la conclusion archivistique du «Lot Blondel», «L’Histoire sera encore longue à démêler et à écrire…».
Ainsi, une nouvelle étude historique serait positive à faire, en tenant compte d’un angle mort oublié dans certains témoignages d’anciens combattants, celle de la cruauté partagée en temps de guerre, qui a pourtant marqué leur mémoire. Quand les archives parlent les consciences s’ouvrent, dit-on, alors pourquoi ne pas réouvrir notre mémoire collective pour enfin comprendre la réalité de notre passé commun et humain…
Un remerciement particulier à Gisèle et Jacques Chevalier et Michel Dubois (citoyen de Saint-Cyr), Geneviève Benjamin (fille de feu Maurice »Moise » Obadia-para SAS), Julien Hauser (responsable de la V.D.K), David Portier (historien des parachutistes du 3e SAS), Yann Saint-Sernin, David Duvernay et Hervé Cannet (journalistes français), Denis-Martin Chabot (Radio-Canada), Volker Bieler (juriste adjoint du procureur allemand Ulrich MAAS) et surtout Philippe Coignot (passionné d’histoire) sans qui cette affaire ne se terminerait jamais…
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Laurent Busseau
Historien sans Frontière
Québec-Canada